Tortures et viols institutionnalisés dans les prisons russes : c’est ce que montrent des documents, témoignages et images rassemblés par « Envoyé spécial ». Une enquête à voir le 27 janvier 2022 retrace aussi l’incroyable parcours du lanceur d’alerte, qui a confié aux journalistes des vidéos d’une extrême violence, jusqu’au pays Basque où il s’est réfugié. En voici quelques extraits.
« Tout le monde sait en Russie que l’on torture, que l’on frappe, que l’on viole dans les prisons », souligne Sergueï Saveliev. Le monde entier peut désormais en avoir la preuve, grâce aux vidéos que ce jeune lanceur d’alerte réfugié en France a accepté de montrer à « Envoyé spécial ». Elles contiennent des scènes insoutenables de passage à tabac, d’humiliation et de viol. Des sévices qui seraient infligés aux détenus par d’autres prisonniers… sur ordre des gardiens, affirme Sergueï Saveliev.
Que révèlent ces images et documents internes issus d’une prison-hôpital, à Saratov, dans le sud de la Russie ? Sergueï Saveliev a confié aux journalistes une vingtaine de vidéos d’une extrême violence. Des images floutées par « Envoyé spécial » montrent quatre hommes nus, contraints de se tenir mutuellement le sexe ; un autre, au sol, attaché, se faire uriner dessus ; ou encore un détenu, les mains attachées, sodomisé avec un manche à balai. Pour couvrir les cris, les tortionnaires mettaient de la musique à fort volume, précise Sergueï Saveliev. Selon lui, les vidéos étaient filmées avec des enregistreurs confiés à d’autres détenus par les gardiens eux-mêmes. Celles qui montrent un viol auraient ensuite été utilisées comme « kompromat » (vidéo compromettante) pour faire chanter le détenu (selon les codes en vigueur dans les prisons russes, la diffusion de telles images ferait de lui un paria). Cela afin d’obtenir des aveux écrits ou de lui extorquer de l’argent.
Qui est Sergueï Saveliev, et comment a-t-il eu accès à ces images ? C’est au cours d’une détention pour trafic de drogue qu’il a été transféré (en 2016) dans un hôpital pénitentiaire, l’OTB-1 de Saratov, au sud de la Russie. Il explique y avoir été recruté par l’administration en raison de ses compétences informatiques. C’est dans le cadre d’un travail dit d' »activiste » qu’il aurait eu accès à ces vidéos, détaille-t-il dans l’enquête d' »Envoyé spécial », à voir le 27 janvier 2022. Il dit les avoir secrètement téléchargées, puis exfiltrées et divulguées – au péril de sa vie. Dans son pays, il a été accusé d’espionnage et de divulgation de secrets d’Etat. Les services spéciaux l’auraient averti qu’il « ne sortirait pas vivant de prison ». Réfugié à Biarritz, il demande l’asile politique en France.
Combien de prisonniers sont-ils victimes de ce système ? Quand ces mauvais traitements ont-ils commencé ? Sollicitée à de multiples reprises au cours de l’enquête, l’administration pénitentiaire russe n’a pas souhaité répondre aux questions d’ »Envoyé spécial ». Le journaliste Luc Lacroix a interrogé une avocate qui connaît bien la prison de Saratov et savait « depuis 2013 ou 2014 » ce qui s’y passait. Elle parle d’« une centaine de victimes, minimum ». Elle explique avoir été contactée plusieurs fois par des détenus dénonçant des tortures. Au niveau local comme fédéral, leurs plaintes auraient reçu des réponses stéréotypées des autorités, affirmant qu' »après vérification, aucune violation n’a été constatée ».
Quelles peuvent être les suites de ces révélations d’ampleur ? A Saratov même, elles ont déjà eu certaines conséquences : perquisition de l’OTB-1 (fait rare en Russie), arrestations du directeur et de son adjoint, démission du directeur de l’administration pénitentiaire nationale. A Moscou, l’affaire a fait réagir Vladimir Poutine, qui a annoncé une nouvelle loi. C’est que le scandale dépasse largement la prison de Saratov. La Russie compte un demi-million de détenus et si les ONG dénoncent fréquemment des tortures, les victimes témoignent rarement. Dans le sillage de Sergueï Saveliev, d’autres lanceurs d’alerte seraient prêts à publier des vidéos venant d’autres établissements pénitentiaires…