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Notre site a pu interroger l’un des rares survivants d’une des prisons secrètes située sur le territoire de l’OMON (brigade de police spéciale) à Grozny. C’est dans cet endroit que beaucoup de jeunes hommes ont été kidnappés par des forces de l’ordre pro-russes, notamment Aslanbek Saydakhmadov, à propos duquel nous avons écrit plus tôt. Aslanbek Saydhamadov a été enlevé à deux reprises par l’OMON, puis torturé et tué. La Cour européenne des droits de l’homme a accepté la plainte concernant l’enlèvement et le possible assassinat de A. Saidakhamadov et l’absence d’une enquête en bonne et due forme.
Azamat Amkhadov (le nom a été changé pour l’interview – Tergam) nous a donné des détails sur cette prison secrète et sur sa rencontre avec Aslanbek.
Tergam : Connaissiez-vous Aslanbek avant que vous ne soyez kidnappés, ou vous vous êtes rencontrés dans cette prison secrète ?
Azamat : Non, je ne le connaissais pas. Nous nous sommes rencontrés dans la prison secrète.
» Ils ont dit qu’ils vont nous utiliser pour résultat «
Tergam : Avez-vous été torturé? Comment exactement ?
Azamat : Il a été torturé encore plus fort que moi. Il a été électrisé directement des prises électriques. Ils connectaient les fils directement des prises, du 220 volts. De plus, il a été sévèrement battu avec les jambes et les battes. Globalement il a été torturé plus que moi.
Tergam : Qu’est-ce que les agents qui vous ont enlevé, toi et Aslanbek, vous ont demandé ?
Azamat : Ils n’avaient pas d’exigences spécifiques. Sous les tortures, je leur ai dit que j’étais prêt à signer tout ce qu’ils voulaient, mais ils n’avaient pas besoin de cela. Ils nous ont juste torturés périodiquement et nous ont interdit de raser nos barbes et nos cheveux et nous ont forcé de raser les moustaches. Ils nous ont dit, directement, que bientôt ils vont nous utiliser pour « résultat » (L’expression « pour résultat », dans ce contexte, signifie qu’ils vont les obliger de laisser pousser les barbes et vont les tuer en les faisant passer pour des combattants indépendantistes).
Tergam : Décrivez ce qui s’est passé dans cette prison secrète ? Saviez-vous où vous étiez ? De quoi ont-ils accusé Aslanbek et pourquoi pensez-vous qu’il a disparu sans laisser de trace?
Azamat : Nous savions où nous étions. Sur le territoire de l’OMON à Grozny, il y avait un bâtiment de deux étages et, dans ce bâtiment, se trouvaient des sous-sols spéciaux réservés aux cellules et aux salles de torture. Tout s’est passé dedans. Il y avait plusieurs pièces dans ce sous-sol. Deux petites et une grande. Nous étions tous dans les petites pièces et de temps en temps, nous avons été emmenées dans la grande salle de torture.
Il y avait aussi, avec moi dans la cave, Arthur Dougaziev, celui qui s’est fait torturé à mort. Ce gamin a été enlevé lorsqu’il est venu rendre visite à sa grand-mère. À l’âge de 9 ans, ses parents sont partis avec lui en Azerbaïdjan pour fuir la guerre. Il n’a passé qu’une journée au sous-sol. Il a été amené le 3 novembre et il était déjà à la morgue le 6 novembre.
En ce qui concerne Aslanbek, ils l’ont accusé d’avoir soi-disant aidé son frère, impliqué dans la résistance à l’occupation russe. Quand je l’ai rencontré dans cette prison, c’était son deuxième enlèvement et pour lui, c’était le dernier. Après cela, je ne l’ai pas vu dans ce sous-sol.
Tergam : Qu’est-ce qui s’est passé avec toi ? Est-ce que tu as été enlevé ? Comment et pourquoi est-ce arrivé ? Que s’est-il passé pendant les premières heures de ton séjour dans la cave ?
Azamat : Les hommes de Kadyrov sont venus chez moi. C’était en 2009. Le 1er novembre, ils ont fait une perquisition chez moi. Ma mère et toute ma famille était là. J’ai été menotté et emmené à la base de l’OMON. J’ai compris où j’étais et qui m’a enlevé. Les agents de l’OMON n’ont pas vraiment caché qui ils étaient.
Ils m’ont amené dans le sous-sol et ont commencé à me donner des coups de pied. Ensuite, ils ont apporté un appareil pour les tortures à l’electricité.
Les agents d’OMON m’ont déclaré qu’ils m’avaient enlevé parce que j’étais marié à la veuve d’un soi-disant célèbre commandant de la résistance tchétchène. Ce que d’après eux voulait dire que je partageais ses propos
» Je ne sais pas de quoi il était accusé, et puis ils nous ont jamais accusé de quoi que ce soit «
Tergam : Dans quelles circonstances vous êtes-vous retrouvés dans le même sous-sol avec Aslanbek ?
Azamat : J’étais là depuis le 1er novembre, on me torturait. Askhab (un autre détenu) a été amené le 3 novembre et a commencé à se faire torturer.
Aslanbek a été amené en décembre. Il m’a raconté qu’il avait déjà réussi à s’échapper de cette cave. Selon le commandant de l’OMON Alikhan Tsakaev, deux agents de l’OMON ont intentionnellement laissé Aslanbek s’échapper. Par la suite, ces deux agent ont été battus et torturés pendant plusieurs mois dans la même cave.
Après la fuite, quelques mois plus tard, il a été arrêté à Astrakhan et ramené en Tchétchénie. Je ne sais pas de quoi il était accusé, et puis ils nous ont jamais accusé de quoi que ce soit.
Tergam : Comment est-ce que tu as été libéré et comment as-tu décidé de quitter le pays ?
Azamat : Islam Oumarpashaev était dans la cellule avec moi et se faisait également battre et torturer. Ils voulaient également l’utiliser «pour résultat», car ils le soupçonnaient d’être un «shaïtan», comme ils le disent. (Ils appellent Shaïtans tous ceux qui sont en désaccord avec les autorités – Tergam). Heureusement, son père était très actif dans la recherche de son fils et, autant que je sache, il avait de bonnes relations parmi les personnes influentes. Il a également attiré le célèbre défenseur des droits de l’homme Igor Kalyapin, qui l’a beaucoup aidé dans la recherche de son fils.
Ils ont crée beaucoup de résonance autour de l’enlèvement d’Isalm. L’OMON a décidé de libérer Islam Oumarpashaev et m’ont libéré également, car Islam pouvait dire à mes proches et à tous les autres que j’étais toujours enfermé et torturé dans cette cave.
Et j’ai décidé de quitter le pays parce que j’avais déjà été condamné en Russie pour des accusations forgées de toutes pièces et que j’avais déjà passé trois ans en prison. La deuxième fois, j’ai été kidnappé 5 mois après ma libération. J’ai compris qu’ils ne me laisseraient pas tranquille, de plus l’OMON nous a clairement dit qu’ils allaient nous utiliser pour «résultat», c’est-à-dire qu’ils allaient nous tuer et nous faire passer pour des militants. Il était évident pour moi qu’ils n’allaient pas me laisser libre pour longtemps.
Tergam : Quelles impressions a laissé Aslanbek sur vous et votre rencontre dans une situation aussi difficile ?
Azamat : Quand ils m’ont fait sortir de la cellule et ont commencé à me libérer, je me suis rappelé que la veste d’Aslanbek était restée dans la cellule, qu’ils l’avaient laissé quand ils l’avaient emmené pour le tuer. J’ai demandé aux gardes de me laisser prendre cette veste. Je leur ai dit que j’avais oublié ma veste. Je ne voulais tout simplement pas laisser cette veste dans cet endroit sale et je voulais l’emporter avec moi afin de laisser un souvenir de la rencontre avec ce jeun homme.