Lettre ouverte à la rédaction du Figaro

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Lorsque j’ai quitté ma terre natale occupée par la fédération de Russie, j’ai choisi comme destination – l’Europe.
Je supposais naïvement que suite à la Seconde Guerre mondiale qui a coûté des millions de vies, le fascisme ici était révolu et qu’il n’était plus acceptable de persécuter les gens sur la base de leur nationalité.

Je croyais que toutes les personnes sans distinction au niveau de la couleur de peau, de la nationalité et de l’appartenance religieuse étaient toutes égales.
Mais dernièrement, et cela non sans l’aide des personnes qui travaillent pour votre journal et que vous identifiez comme étant des journalistes, j’ai compris que je m’étais trompé.
A l’âge de presque 50 ans je suis maintenant convaincu que mes convictions n’étaient que des illusions.

« Un tel Etat n’est pas reconnu »

Je vis en France depuis 9 ans maintenant et je suis reconnaissant à ce pays pour tout ce qu’il a fait pour moi, ma famille et pour des dizaines de milliers de mes compatriotes.
Quand j’ai obtenu le statut de réfugié, j’ai insisté pour qu’il soit indiqué sur mes papiers dans la colonne dédiée à la nationalité « citoyen de la République Tchétchène ICHKERIA », sur quoi on m’a répondu qu’un tel Etat n’était pas reconnu et qu’une telle nationalité n’existait pas. On m’a dit que je détenais un passeport de citoyen de la fédération de Russie.

J’ai alors rappelé à l’employé de la préfecture que, lorsque l’Allemagne occupait la France, des centaines de milliers de citoyens français s’était confrontés à la même situation que la mienne et avaient été contraints de quitter leur pays contre leur propre gréense retrouvant au-delà de ses frontières.

Ces français avaient été accueillis en Angleterre, aux Etats-Unis, au Canada et dans d’autres pays du monde. Ces français réfugiés avaient probablement reçu des documents administratifs justifiant de leur situation. Il me paraît alors fort peu probable que ces citoyens français aient pu voir apparaître la mention de la nationalité allemande sur leurs papiers pour cause à l’époque de la seule occupation allemande sur leur territoire national.
Dans mes documents à moi jusqu’à aujourd’hui il reste toujours mention de la citoyenneté de la fédération de Russie.

Cependant, je constate que périodiquement dans vos articles vous-vous empressez de mentionner la citoyenneté tchétchène dès lors que celle-ci se trouve liée à des actes criminels. Bien sûr, je ne peux nier le fait que mes compatriotes ne sont pas tous des anges. Mais il est tout aussi évident que les criminels existent au sein de toute nation.

La dernière fois, lors de l’édition d’un de vos articles la nationalité tchétchène avait été mentionnée à plusieurs reprises quand bien même les organes de la république française ne reconnaissent l’existence d’une telle nationalité.
Dans cet article, vos collègues s’empressaient d’accuser ces tchétchènes de criminels sans aucune preuve à l’appuie et sans attendre la décision du tribunal qui décidait de leur culpabilité dans les faits qui leurs étaient reprochés.
Pendant que vos journalistes se précipitaient dans leurs accusations, la justice française les avait déjà presque tous acquittés et libérés.

Suite à ce fait, votre journal n’a pas réfuté les allégations faites précédemment et aucune excuse n’a été prononcée à leur égard. Au sein d’une société morale un tel comportement doitêtre condamné.

Le métier de journaliste est une profession ancienne et son exercice revient à être héroïque dans certains contextes. Dans le monde, de nombreux journalistes ont sacrifié leur vie afin d’apporter la vérité aux gens. Et ces journalistes étaient tous des grands au sein de leur profession.

L’hiver dernier, mon frère travaillant dans une entreprise de sécurité à Paris, il a sauvé une jeune femme qui se noyait dans l’eau froide d’une rivière lors d’une inondation. Elle avait été recherchée durant plus de deux heures par tous les services de gendarmerie. Il l’a sortie de l’eau et l’a porté dans ses bras avant d’avertir la police qui a pris le relais.

Deux amis tchétchènes sauvent un enfant de la noyade

Il ne me semble pas que votre journal ait pris la peine de mentionner un tel fait. En ce qui concerne la police, les pompiers ou même la jeune femme en question, personne n’a jugé bon d’émettre quelques mots reconnaissants à son égard.
Un tel traitement des médias tel que celui adopté par votre rédaction vis à vis des tchétchènes n’est malheureusement pas un cas isolé dans le monde et se répètent très souvent en Russie. Là-bas, les faits impliquant des tchétchènes sont traités à deux vitesses par les medias en fonction de leur caractère positif ou négatif.

Mes enfants sont nés en Europe et ne sont jamais retournés sur leur terre natale. Ils vont à l’école et au collège. Ils pratiquent le sport. Mes deux filles et mon fils sont devenus champions de judo en Normandie et leur travail a été reconnu par les journaux français. Certes leur origine tchétchène a été omise dans ces articles de presse.
Ils n’ont fait de mal à personne et ne méritent certainement pas qu’on leur dise qu’ils sont des terroristes ou des criminels car ils sont tchétchènes. Et pourtant c’est ce qu’ils sont emmenés à entendre parfois ici en France et que certaines publications de presse telles que celles mentionnées au début de cette lettre peuvent laisser sous-entendre.

J’espère que le message que j’ai essayé de porter tout au long de cette lettre retiendra votre attention et qu’à l’avenir les faits impliquant les tchétchènes pourront être traités de manière plus juste.

Un réfugié politique de la République Tchétchène d’Ichkeria Khasukha Magamadov.