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Pendant des décennies, l’émigration de Tchétchènes vers l’Europe était un moyen fiable de s’échapper des autorités tchétchènes. En 2018, tout a changé : les militants des droits de l’homme ont été confrontés à une augmentation des demandes d’extradition de ressortissants tchétchènes accusés de terrorisme dans leur pays. Mais la menace d’extradition n’arrête toujours pas beaucoup d’entre eux.
Le service russe de BBC s’est rendu dans plusieurs pays de l’UE et a compris pourquoi les Tchétchènes étaient plus souvent extradés – et pourquoi le nombre de réfugiés tchétchènes en Europe continue de croître.
Ali. Salam
Arrivé à la gare de Berlin « Hauptbahnhof » sort un homme de âgé de 32 ans. Il sourit au contrôleur, échange quelques phrases en allemand avec lui et s’approche du jeune homme sur la plate-forme. Il est vêtu d’un sweat-shirt noir, un capuchon est jeté sur sa tête, il ne parle pas allemand.
-Assalamoualikum Ali.
-Wa aleikum salam. Comment es-tu arrivé ?
-Bien, il n’y a seulement deux heures de route. La famille de la Tchétchénie t’a contacté ? Est-ce qu’ils sont venus les voir encore ?
-Depuis la dernière fois – non. Il n’y a de toute façon plus personne à voir, mon grand-père est décédé l’année dernière, il ne reste plus que ma tente.
-D’accord. On va à la mosquée ? Il ne reste plus beaucoup de temps.
Salam Vitaev et Ali Magomadov (Le prénom Ali a été modifié) vont à la prière de vendredi à la mosquée de Berlin.
Ils se sont rencontrés en 2017. Tous deux viennent de Tchétchénie et tous deux attendent une réponse des autorités de l’immigrationà leur demande d’asile en Allemagne. Tous les deux ont été accusés par les autorités tchétchènes d’avoir eu des relations avec l’État Islamique. Sur ce, leurs similitudes se terminent.
« On peut t’emprisonner en moins de six secondes »
Salam a étudié en droit jusqu’en 2015 dans l’académie nationale de Maïmone à Moscou.Il est ensuite rentré chez lui en Tchétchénie et n’ayant pas trouvé d’emploi dans sa spécialité, il a fini par travailler dans le bâtiment dans son village natal. A cause d’une dispute qui s’est transformée en une agression, Salam s’est retrouvé dans l’un des services de police du district
Il a passé près de deux mois en détention. Officiellement, selon Vitaev, sa détention n’a pas été prouvée. Il n’avait jamais eu de soucis avec la police auparavant. Le matériel de l’affaire sur l’article et sur les dommages à la santé de gravité légère et modérée est en possession de la BBC. Ils disent que Vitaev a infligé des blessures au couteau à plusieurs villageois et qu’il s’est ensuite rendu à la police et a plaidé coupable. Les victimes n’ont pas porté plainte contre Salam.
La police a ensuite tenté de persuader Salam de coopérer, a déclaré Vitaev à la BBC. Selon lui, il a dû identifier des villageois qui avaient des « inclinaisons extrémistes » et les signaler à la police.
Vitaev a déclaré que la police offrait un patronage bien rémunéré : « Ils n’ont pas précisé le montant, mais ils ont dit que je serais satisfait. Ensuite ils ont commencé à faire pression sur moi, ils sont passés aux menaces, ils ont dit, que ma famille était ici, que moi-même était ici (Village natal) et qu’ils peuvent m’emprisonner en six secondes. «
Le service russe de la BBC a contacté les forces de l’ordre tchétchènes avec une demande concernant la détention de Salam Vitaev, mais n’a pas reçu de réponse au moment de la publication de l’article.
Salam a accepté les conditions de la police et a quitté le centre de détention. Deux semaines plus tard, a fait un passeport et s’est rendu en Turquie. « J’espérais que tout serait réglé rapidement, ils m’oublieraient, parce que je n’ai rien fait de mal. Et vous savez, dénoncer des gens, ce n’est ce que j’aurais préféré de faire … » dit Vitaev. Il n’y a pas de nouvelles concernant l’agression dans le village – la police ne parle plus de ça, et rien n’est dit concernant cette agression dans les documents d’extradition.
Salam considère que sa plus grosse erreur était de partir en Turquie. « Lorsque les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur ont réalisé que j’avais violé le contrat signé avec eux, ils ont commencé à m’appeler. Ils ont dit que cela pourrait très mal finir pour moi, qu’ils pourraient me m’emprisonner, qu’ils pourraient me réclamer à la Turquie, que pour un voyage en Turquie ils pourraient écrire un bon article, dans lequel ils pourraient préciser que je combattais aux cotés de L’État Islamique « , – raconte Salam.
Selon le Ministère de l’Intérieur de la Tchétchénie, les résidents du Caucase du Nord partent en Syrie en passant par la frontière Turco-Syrienne ou par l’Azerbaïdjan.
Trois semaines plus tard, Salam Vitaev part de Turquie en Biélorussie à Brest et a atteint le camp de réfugiés en Pologne par le point de passage frontalier. Dans un premier temps, il a reçu de l’aide des Tchétchènes du camp. Salam Vitaev ne connaissait pas les langues étrangères et communiquait avec les services de migration à travers un interprète. Dans le camp, il a commencé à apprendre le polonais. Sans attendre une réponse du service de migration polonais, Salam s’est installé en Allemagne, car les conditions d’accueil des réfugiés, d’après les récits des Tchétchènes dans le camp, y sont meilleures.
Les appels des responsables de la sécurité tchétchène ne se sont pas arrêtés. Salam a changé le numéro de téléphone plusieurs fois, mais ils le retrouvaient de nouveau à l’aide de sa mère. Un responsable du ministère de l’Intérieur tchétchène a demandé à Salam de prendre une photo dans le contexte d’une banque allemande et d’une gare polonaise, ainsi que de prendre en photo les tampons de son passeport sur le franchissement de la frontière avec un État européen. Tout cela était censé prouver qu’il n’était pas en Syrie.
Les enquêteurs tchétchènes ont envoyé ces photos à Interpol en même temps que les éléments de l’affaire de Salam Vitayev, instituée en vertu de l’article 208, sur la participation à un groupe armé illégal. Deux semaines plus tard, il fut emprisonné à Nuremberg. Il était censé y être jusqu’à ce que la Russie fournisse la preuve de l’implication du Tchétchène dans l’Etat islamique et de sa participation aux hostilités en Syrie.
« Les documents envoyés – il s’agissait d’une affaire très mal fabriquée, elle s’effondrait toute seule. Aux dates indiquées, pendant lesquelles j’étais soi-disant en Syrie, j’étais déjà ici en tant que demandeur d’asile. À certains endroits du dossier, le nom n’était pas du tout le mien. Sur une page, il y a écrit que je me bats du côté de l’EI et sur l’autre – du côté du groupe qui combat l’EI. » La BBC a pris connaissance du des documents, les propos de Salam Vitaev sur les inexactitudes et les erreurs correspondent à la réalité.
Salam a été libéré de prison – les documents soumis par la Russie ne suffisaient pas pour le maintenir en détention. Une copie de la conclusion du tribunal de Nuremberg, selon laquelle il n’existe aucune preuve de la culpabilité de Salam, est à la disposition de la BBC. Il vit maintenant en Allemagne en tant que demandeur d’asile, mais le problème de l’extradition n’a pas été complètement résolu. Si la Russie présente des preuves irréfutables de son séjour en Syrie et que le tribunal y consent, Salam peut être renvoyé chez lui.
Il ne veut pas revenir. Salam habite dans un petit village près de Nuremberg dans un appartement que l’État paie. Deux mois après le déménagement, il a amené sa femme ici, il a eu des enfants. La famille vit de prestations d’État – 1 000 euros par mois pour toute la famille de quatre personnes. Salam veut apprendre à être médecin et à trouver un emploi. »J’essaie d’apprendre l’allemand. Je regarde les infos de la Tchétchénie, la chaine « ChGTRK », je regarde à quel point (selon eux) tout le monde vit bien en Tchétchénie et comment l’Europe souffre dans la misère, y compris moi. C’est comme ça que je vis », dit-il.
Malédiction publique
« Je ne me souviens pas de la guerre, mais je me souviens, comment dirais-je, d’une guerre interne. C’est un processus lancé par les autorités tchétchènes fidèles à Poutine », a déclaré Ali (Le nom a été changé) assis dans une cuisine dans un des dortoirs des réfugiés de Berlin.
Ali est né en Tchétchénie en 1995. Il n’a pas fait d’études supérieures. Dans son Pays, il faisait beaucoup de sport, notamment de la lutte, il avait participé à des compétitions régionales et internationales et les avait remportées. Cela n’apportait pas beaucoup d’argent, mais était suffisant pour se nourrir et avoir un peu d’argent de poche.
En 2013, un membre de la famille d’Ali a quitté la Tchétchénie et les autorités tchétchènes ont annoncé qu’il avait rejoint l’État Islamique en Syrie. À partir de ce moment-là, selon Ali, les agents de sécurité se rendaient souvent chez Ali pour lui demander où se trouvait ce membre de famille. L’athlète et sa famille se faisaient souvent conduit au département de la police et interrogé sur place.
Après une attaque contre la police à Grozny, les autorités ont annoncé que la tête de cette attaque était le membre de la famille d’Ali, qui était porté disparu. La maison d’Ali a été encerclée par les forces de sécurité qui, pendant une longue période ne laissait sortir personne. « Je pensais qu’ils allaient nous tuer, jeter quelques armes sur nos corps et dire à la télé, que nous avons ouvert le feu et que les « terroristes ont était neutralisés et désamorcés » », a déclaré Ali à la BBC.
La famille d’Ali a été publiquement maudite par l’un des députés mufti de Tchétchénie. Ils ont rassemblé des villageois, emmenés la famille dans la rue, les ont entourés d’agents de la force publique et les ont déclarés ennemis du peuple et d’Allah. Ali affirme que sa famille a été accusée d’avoir « mal élevés leurs enfants », ainsi que d’avoir soutenus des propos terroristes – parce qu’ils ont, soi-disant, couvert le membre de famille, qui a quitté le Pays. Ali affirme que ni lui ni sa famille n’ont vu cet homme depuis 2013.
Lors de la même réunion, un représentant de l’administration spirituelle des musulmans de Tchétchénie a annoncé que la société avait décidé de préserver la famille d’Ali de la vengeance « sang contre sang » et de leur donner la possibilité de quitter la république. « On nous a dit qu’il nous restait exactement une heure pour partir. Ils ne m’ont pas laissé prendre quoi que ce soit de chez moi. Partez comme vous le souhaitez. Nous sommes allés avec notre famille dans différentes régions. C’était l’hiver, je n’avais pas de vêtements chauds, il faisait très froid et je n’avais pas d’argent, mes jambes étaient si froides que je ne les sentais pas », se souvient Ali.
Au début, il s’est rendu dans une région voisine, il ne dit pas où exactement, il a peur pour ses proches. La première semaine, Ali a passé la nuit à la gare et dans des cafés de nuit. Il a ensuite trouvé l’adresse d’un membre de famille éloigné et s’est adressé à lui, mais il ne l’a pas laissé entrer – il ne voulait pas de problèmes avec les autorités tchétchènes. Il a ensuite trouvé un autre membre de famille qui a accepté de l’accueillir lui, ensuite sa famille. Puis, les Tchétchènes de l’Europe ont entendu l’histoire et ont commencé à aider.
Après avoir consulté des militants des droits de l’homme, la famille Ali ont fait leurs documents et se sont ensuite installées en Pologne, puis en Allemagne. Ali ne parle pas allemand, il ne savait donc pas quelles démarches entreprendre. Il n’a toujours pas reçu de réponse a sa demande d’asile. Il vit, avec sa mère, dans un foyer pour réfugiés, ses deux sœurs, épouse et enfant, dans la banlieue de Berlin.
Il est heureux que ses proches soient proches de lui, mais son Pays lui manque beaucoup : « C’était bien chez moi, on allait à la pêche, on se baignait dans la rivière, on allait à la montagne, c’est ici que je suis né et j’ai grandi. C’est l’endroit dans lequel je suis né, grandi. « . Ali s’inquiète beaucoup pour la famille de sa mère, car ses frères et sœurs sont toujours en Tchétchénie.
Il admet qu’il se sent en sécurité en Allemagne. « Personne ici ne m’a demandé pourquoi vous aviez une telle barbe, pourquoi un tel pantalon, une telle chemise. Les autorités ne me touchent pas. Quand je prie dans une mosquée, personne ne vous demande pourquoi vous avez prié de tel sorte, et pas autrement, » dit Ali.
Quand on lui demande ce qui va arriver s’il peut rentrer chez lui, Ali répond : « Pas si, mais quand. Quand je rentrerai à la maison, j’irai jouer aux cartes avec mes amis. Et je jouerai au football. »
200 Tchétchènes recherchés
L’organisation «Vayfond» (Traduit de tchétchène : «Notre fondation») aide les Tchétchènes, dont l’extradition est demandée par la Russie. Le bureau de la fondation est situé en Suède et n’emploie que quelques personnes. L’organisation a ouvert ses portes il y a un an et demi et a d’abord recueilli des fonds pour les Tchétchènes à faibles revenus en Europe. Suite à l’intensification de la procédure d’extradition, « Vayfond » s’est engagé dans une procédure d’assistance judiciaire.
Selon le responsable de «Vayfond» Mansur Sadulayev, leur organisation n’existent seulement grâce aux dons. «Cela ne suffit pas toujours, nous nous endettons souvent, mais jusqu’à présent, il n’y a pas de subventions», dit-il.
En 2017, seules deux personnes ont demandé de l’aide dans des affaires d’extradition. En 2018 – 20. Cinq d’entre eux ont déjà été donnés à la Russie. À présent, dans la base ouverte d’Interpol, il y a environ 200 natifs de Tchétchénie.
Presque toutes les affaires tchétchènes, qui sont adressées au « Vayfond », sont traitées par l’avocat Alexei Obolenets. « En Tchétchénie, une personne emmenée de force est obligée de signer des documents contenant d’autres noms de famille. Ces cas sont ensuite combinés et, par conséquent, le nombre de leurs auteurs ne cesse de croître », a déclaré Obolenets. C’est ainsi que se forme un dossier terroriste sur la base duquel les accusés sont déclarés sur la liste des personnes recherchées sur le plan international. L’avocat affirme que le souci principal ne concerne même pas les autorités tchétchènes, mais le personnel de la branche russe d’Interpol, qui cède la place à la liste des personnes recherchées.
« S’il s’agit, par exemple, d’un crime économique, l’Interpole vérifie le dossier. Mais si ils voient un nom de famille avec marqué » terrorisme » à coté. Ils mettent le dossier immédiatement [dans la base de données d’Interpol]. Ils ne vérifient pas où la personne se trouvait physiquement et où est ce qu’elle se situe actuellement et ainsi de suite « , dit l’avocat à la BBC.
Avant, selon l’avocat, l’Europe prenait en compte si la personne demandée par la Russie avait le statut de réfugié. Maintenant, si une demande d’extradition arrive, les pays européens revoient le statut de la personne demandée, a-t-il déclaré. Aleksey Obolenets est actuellement responsable de 14 cas de Tchétchènes. Tous figurent dans la base de données d’Interpol et peuvent être envoyés en Russie. Depuis début 2016, l’avocat est a réussi de prouver le caractère dénué de fondement des accusations portées contre neuf Tchétchènes vivant en Europe.
La branche russe d’Interpol n’a pas répondu à la demande de la BBC concernant le nombre exact de Tchétchènes dans la base de données et de la manière dont ils y parviennent.
Avant, presque toutes les demandes d’extradition d’indigènes tchétchènes par la Russie recevaient une réponse négative de la part de l’Europe, a déclaré Svetlana Gannushkina, directrice de l’ONG Civic Assistance. Son organisation est spécialisée dans l’aide aux migrants et aux réfugiés.
La situation a commencé à changer il y a quelques années. Gannushkina associe cela à la crise migratoire en Europe et à l’amélioration des relations entre la Russie et l’UE. « Certaines personnes sont expulsées de Tchétchénie parce que leurs proches sont liés à l’État Islamique, d’autres, au contraire, se font renvoyer de l’Europe. Aujourd’hui, la lutte contre le terrorisme en Tchétchénie est imitée, elle doit attirer non seulement l’attention des forces internes mais également externes. C’est un moyen de se réunir parce que tout le monde comprend que le terrorisme est dangereux, terrible, et il est nécessaire de montrer comment le combattre », a déclaré la militante des droits de l’homme.
Lorsque des examens des cas d’extradition des Tchétchènes, la Cour Européenne se base sur la garantie de la Russie de ne pas les juger (et de ne pas les envoyer dans des colonies) dans leur région d’origine, explique Gannushkina. Selon l’activiste des droits de l’homme, ces garanties « ne coûtent rien, car c’est dans d’autres régions que la discrimination à l’égard des Tchétchènes dans le système pénitentiaire est très forte ».
Oleg Khabibrakhmanov, membre du Comité pour la prévention de la torture, qui travaille en Tchétchénie depuis plusieurs années, estime que l’expulsion de certains et la tentative de renvoi des autres ne sont pas des actions opposées, mais diverses formes de répression.
« Pour les proches, la répression signifie qu’ils sont expulsés. Et pour ceux qui intéressent les autorités, pour ceux qui sont extradés vers la Tchétchénie, pour la répression sera la prison et les enlèvements », a déclaré Habibrakhmanov.Le président de la Tchétchénie Ramzan Kadyrov accuse souvent les Tchétchènes vivant en Europe du fait qu’ils partent combattre en Syrie, et non les résidents de la région (Tchétchénie). « La plupart des Tchétchènes qui sont là-bas [en Syrie] sont ces Tchétchènes qui vivaient en Europe, ils sont partis de là-bas », a-t-il déclaré dans un entretien avec la chaîne de télévision Russia 1.
« Vaut mieux mourir en Europe, que de se retrouver entre les mains des hommes de Kadyrov »
Le blogueur Toumso Abdurakhmanov, âgé de 33 ans, qui s’est installé en Pologne après un conflit avec les autorités tchétchènes, a vécu toute la procedure traditionnelle en commençant de l’enlèvement en Tchétchénie à la résolution de son cas de l’Interpol. Le blogueur a déclaré qu’en 2015 à Grozny, il avait rencontré (en pleine ville) l’ancien responsable de l’administration du chef et du gouvernement de la Tchétchénie, Islam Kadyrov, qui n’avait pas aimé sa barbe. Après cela, dit Toumso, il a été amené à plusieurs reprises au domicile du fonctionnaire, où il a été menacé.
Les vidéos de Toumso, où il commente les événements dans le Caucase du Nord, critique les autorités et discute même avec des responsables tchétchènes, obtiennent des millions de vues sur YouTube.
Selon lui, les abonnés lui écrivent souvent pour le demander de parler des enlèvements ou des détentions, mais dernièrement, il y a beaucoup d’appels en matière d’extradition.
« Je suis clairement contre l’extradition générale vers la Russie, peu importe qu’il soit, un criminel ou autre, je crois qu’il devrait être jugé ici (en Europe). Là où il a été arrêté, laissez-le être déclaré coupable, laissez-le être fusillé par la décision du tribunal, (le seul pays européen, dans lequel la peine de mort est légalisé est la Biélorussie – BBC ). Mais de l’autre côté, si la personne à des liens avec le terrorisme, je ne veux même pas entrer dans le débat « , – dit le blogueur.
Le 26 septembre 2018, la Pologne a refusé d’accorder l’asile politique à Abdurakhmanov avec le libellé « représente une menace pour la sécurité du pays ». Le Conseil polonais pour les réfugiés a mis l’accent sur le fait qu’un contrôle était en cours en Allemagne contre le frère Toumso.
Mokhmad Abdurakhmanov est soumis à un contrôle de violation de la loi en relation avec la publication des symboles de l’État Islamique. Selon Toumso, il (son frère) avait publié un article de Deutsche Welle sur sa page Facebook. Dans l’ordonnance du juge pour la perquisition de l’appartement du frère de Toumso, enquêtée par l’équipe de la BBC, Deutsche Welle n’est pas mentionnée, mais il est dit que Mokhmad a publié sur des réseaux sociaux des photos avec les symboles de l’EI et une vidéo avec des scènes de violence.
La police allemande doit décider. Si la faute est prouvée, le frère peut être condamné à une amende ou à une peine avec sursis, dit le blogueur.
Toumso ne désespère pas, il dit qu’il fera d’autres demandes d’asile, encore et encore : «Je crains que les autorités européennes ne me fassent quelque chose d’injuste, c’est-à-dire me déporter, m’envoyer dans les mains sanglantes des Kadyrovsky. Je préfèrerais mourir que de me retrouver entre leurs mains ».
L’émigration des tchétchènes, Abdurakhmanov appelle « la fuite de la tyrannie ».
« Beaucoup de gens ne comprennent pas tellement ce sujet, ils pensent que c’est si simple : quitter votre mode de vie habituel, vos biens, vos parents, vos amis, votre patrie, votre pays, se lever comme ça et partir. Comme s’il y avait un declique et il fallait soudainement partir. C’est une chose très difficile. Je tiens à dire à tous ceux qui pensent que c’est facile : dans notre histoire, les Tchétchènes ont connu des périodes bien pires, mais personne ne fuyait le pays « .
Les Stéréotypes sur les islamistes
Les Tchétchènes occupent la quatrième place en termes de nombre de demandes d’asile en Allemagne, a déclaré le député de Martsan au district municipal de Berlin, Dmitry Heidel. Martsan est un quartier berlinois russophone où vivent des migrants de l’ex-URSS. « Nous ne comprenons pas vraiment pourquoi le nombre de réfugiés a augmenté, car en Tchétchénie, entre 2012 et 2018, la situation ne s’est ni améliorée ni aggravée », a déclaré le député.
L’attitude envers les Tchétchènes en Allemagne est ambiguë. « Ils écrivent soit à propos de terroristes, soit à propos de la mafia tchétchène, alors en Allemagne, la société ne sait pas exactement comment les traiter», a déclaré un député de Berlin.
Selon le service fédéral allemand des migrations, au cours des cinq dernières années, environ 37 000 Tchétchènes ont demandé l’asile en Allemagne. Il n’est pas possible de vérifier s’ils sont tous véritablement de nationalité tchétchène : les données selon lesquelles les demandeurs d’asile reçus sont écrits par les migrants même, a précisé la BBC.
Seule une personne sur 20 reçoit une réponse positive, l’Allemagne renvoie tout le reste dans le pays par lequel elle est entrée dans l’UE. Mais bon nombre d’entre eux reviennent quand même en Allemagne, dit Heidel.
Le ministère allemand de l’Intérieur n’a pas répondu à une demande de la BBC concernant le nombre de Tchétchènes extradés au cours de l’année écoulée. Selon Heidel, le nombre d’extraditions à la demande de la Russie a augmenté proportionnellement au nombre de réfugiés.
De 2016 à 2018, 35 attentats terroristes ont été commis en Europe. Un seul était impliqué par un natif de Tchétchénie. En mai 2018, Khamzat Azimov a attaqué des civils à Paris avec un couteau. Une personne est morte, quatre blessés. La responsabilité de l’attaque a pris « l’État Islamique ».
Une employée du Centre d’aide psychologique de Berlin « Xenion », Dorothea Bruch, qui travaille avec des réfugiés tchétchènes, a déclaré que la dernière vague d’immigrés tchétchènes était très différente de la précédente: ils se rendent dans certaines mosquées, ils portent les habits musulmans, la communication se fait par le biais des Messengers, en particulier « Whatsapp » dans lequel les travailleurs sociaux n’ont pas accès. « L’islamisation est en cours. Le Conseil des réfugiés de l’état de Brandebourg a publié un rapport qui parle de racisme à l’égard des Tchétchènes en particulier. Malheureusement, ils tombent sous le stéréotype des islamistes », a déclaré Bruch.
La raison pour laquelle les Tchétchènes sont fermés sur eux-mêmes est due aux années d’attente d’une réponse de statut des services de migration, a déclaré le sociologue. Selon elle, ils ne peuvent ni aller étudier ni travailler, ils vivent dans des camps, la majorité des migrants passent de 5 à 6 ans se déplaçant dans de différents pays d’Europe pour trouver un refuge.
Akhmat en force, L’Allemagne – deuxième patrie
Non seulement les réfugiés tchétchènes vivent en Allemagne, mais aussi des partisans du pouvoir dans la république tchétchène.
Un cortège de trois voitures arrivent vers un bâtiment de six étages et situé à Hambourg, plusieurs hommes y sortent. L’un d’eux est Timur Dugazayev, représentant de Ramzan Kadyrov en Europe. Dugazayev se rend souvent en Tchétchénie, rencontre Kadyrov et son entourage.
Ses activités en tant que représentant de Kadyrov, a-t-il déclaré, consistent essentiellement à promouvoir les athlètes tchétchènes en Europe et à organiser des événements caritatifs pour le compte de la Fondation Kadyrov. Les Tchétchènes vivant en Europe se méfient du représentant de Kadyrov, estimant qu’il peut transférer des informations à leur sujet en Tchétchénie. Dugazayev lui-même nie ces accusations.
Timur a 33 ans. Il est né et a vécu en Tchétchénie jusqu’en 2002. «Il a défendu son village natal contre les militants et les soldats ivres de 1999 jusqu’en 2002» [à l’âge de 14 ans, Tergam], explique Dugazayev. Le village de Staraya Sunzha dans lequel vivait Timour est situé dans la banlieue de Grozny. À l’entrée de la Staraya Sunzhu, les habitants ont établi une barrière et gardé le village, a déclaré Timur.
« Dans les événements militaires, c’est difficile. Même si vous essayez de prendre la position la plus neutre possible. Parfois, le gouvernement fédéral pouvait vous accuser de coopérer avec les militants, les militants pouvaient dire que vous travailliez pour le gouvernement. Vous vous retrouvez au mauvais moment ou lieu – et il pourrait y avoir des conséquences. Et j’ai décidé de quitter les frontières de la Fédération de Russie « , – a déclaré à BBC Timur.
En Allemagne, il a fait du sport de manière professionnelle. En 2011, sous le drapeau de l’Allemagne, a remporté le championnat d’Europe en combat Sambo. La même année, il obtint la citoyenneté allemande – auparavant, Timur n’avait que le statut de réfugié. Et la même année, il est devenu ami avec le chef de la Tchétchénie. Selon Dugazayev, la relation a pris forme lorsque, lors d’un événement sportif à Berlin, il a porté un drapeau portant l’image de Ramzan Kadyrov.
Kadyrovets, comme il s’appelle lui-même, est engagé dans la promotion du sport en Europe, en interaction avec les consulats et l’ambassade de Russie. Selon Timur, l’activité de la mission se résume au fait que lui et ses amis aident les Tchétchènes qui se trouvent dans une situation difficile: «Lorsque des personnes nous contactent par le biais de réseaux sociaux ou viennent directement chez nous, nous résolvons leurs problèmes. Généralement ce sont des problèmes de passeport pour rentrer en Tchétchénie. S’ils sont [en Europe] sous d’autres données [passeport] « .
Timur et ses collaborateurs, également des réfugiés tchétchènes, organisent souvent des actions publiques en Allemagne. Par exemple, le 9 mai, ils se sont réunis à Berlin, à la porte de Brandebourg, sous les drapeaux russe et tchétchène. Organisent des événements de charité. L’argent pour tout cela est envoyé par le fonds nommé d’après Akhmat Kadyrov. Timur, dit-il, ne reçoit aucun salaire de la Tchétchénie. Selon Timur, il vit avec des revenus des clubs sportifs qu’il a ouverts à Hambourg.
Dugazaev a pour tâche principale de maintenir une bonne image des Tchétchènes en Europe : «Pour que nous soyons en règle ici. Pour que des groupes douteux ne salissent pas l’image des tchétchènes ».
Dugazayev appelle la tête de la Tchétchénie par son nom et son patronyme. Ramzan Akhmatovich, selon ses mots, il est un « serviteur du peuple ». Timur affirme qu’aucune des accusations portées contre Kadyrov n’a été prouvée par le tribunal. « Les gens, l’appellent comme ils le souhaitent. Certains disent qu’il est un dictateur, certains [disent] qu’ils viole les droits de l’homme, certains disent que Ramzan est bon, qu’il a tout remis sur pied, le système et la sécurité dans le pays » – dit Dugazaev.
Fenêtres panoramiques dans le bureau de la représentation de Kadyrov à Hambourg. Des portraits de Ramzan Kadyrov et de son père sont accrochés au mur, les mêmes photographies sont sur la table dans un cadre. Voici trois petits drapeaux – russe, tchétchène et allemand. Le représentant de Kadyrov en Europe se nomme souvent en tant que citoyen respectueux des lois. « L’Allemagne est ma deuxième patrie », a déclaré Timur.
La société de Hambourg dirigée par Dugazayev connaît toute la diaspora tchétchène. Les réfugiés disent être soupçonnés de collecter des informations sur les Tchétchènes vivant en Europe. Le principal Kadyrovsky de l’Europe a entendu cela plus d’une fois. Timur admet qu’après avoir porté le drapeau avec la tête du président de la Tchétchénie, personne ne voulait même être photographié avec lui.
Il reçoit des accusations infondées d’espionnage des Tchétchènes en Europe : « Je n’espionne personne parce que ça ne m’intéresse pas. Si je ferais un coup de fil et créa des problèmes à qui que ce soit en Europe, les gens le sauraient, surtout les tchétchènes « .
Dugazayev divise les Tchétchènes qui viennent en Allemagne en deux catégories : politique – ceux qui ont combattu contre la Russie et économique – ceux qui savent que la vie en Allemagne est bien et déménagent donc. Ces derniers, selon Dugazayev, sont majoritaires, mais s’ils confessent qu’ils viennent pour une meilleure vie, ils ne seront pas acceptés : « En conséquence, le réfugié dit qu’il existe des menaces, des proches [sont réprimés]. C’est ce que la majorité dit « .
Dugazayev n’a pas entendu parler de l’extradition de Tchétchènes d’Europe à la demande de la Tchétchénie.
En 2016, le chef de la Tchétchénie s’est adressé à la télévision pour s’adresser aux Tchétchènes vivant en Europe et ceux qui le critiquaient sur les réseaux sociaux.
« Ensuite, dans dix ans, dans cinq ans, lorsque vous aurez compris ou que vous serez expulsé d’Europe et que vous ne pourrez plus vous rendre, vous allez payer pour chaque mot que vous avez dit. Je connais tous les sites de la jeunesse [tchétchène] en Europe. On sait tous ce que vous écrivez. Nous savons de quelles données nous disposons. Avec les technologies d’aujourd’hui, nous apprenons et nous vous trouverons où que vous soyez. Ne vous faites donc pas de mal, ne vous faites pas de mal, a-t-il déclaré » .
Dugazaev appelle ces mots non pas une menace, mais un rappel. Selon lui, Kadyrov n’a jamais demandé à quelqu’un de chercher des gens qui critiquent les autorités tchétchènes. « Ce n’est pas son niveau. Je reçois beaucoup de critiques sur instagram. Et cela ne veut pas dire que je suis indifférent à cela. Qu’ils viennent me le dire en face, on verra ce qu’ils vont dire… » dit-il.
Après un entretien avec la BBC, Dugazayev se rend au deuxième étage du bureau de représentation, où se trouve le gymnase avec un ring de boxe. Il est à noter que là-bas, en gants, le représentant de Kadyrov se sent comme un poisson dans l’eau. Il travaille sans relâche avec un entraîneur et avec un sac de frappe. À la fin de la séance d’entraînement, Dugazayev jette un œil à la caméra et déclare le slogan principal de la Tchétchénie actuelle: « Akhmat en force ».«Allez, tu me le dis aussi», il pousse le vieil entraîneur allemand. « Akhmat – Silya », répète l’Allemand avec un accent et lève le pouce.