Le Parisien: Une enquête ouverte après une plainte contre Gérald Darmanin pour « complicité de disparition forcée » d’un Tchétchène

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Une plainte de la Ligue des droits de l’homme et de la famille d’un Tchétchène expulsé en Russie en avril 2021 vise deux préfets et le ministre de l’Intérieur français après cette expulsion controversée.

Par Ronan Tésorière avec AFP

Le 7 avril 2023

Avant l’invasion de l’Ukraine en février 2022, les relations entre Moscou et Paris étaient bonnes notamment sur l’épineux dossier tchétchène, après l’assassinat de Samuel Paty. C’est dans ce contexte qu’une juge du pôle crimes contre l’humanité du tribunal de Paris enquête sur une plainte pour « complicité de disparition forcée » visant deux préfets et le ministre de l’Intérieur français Gérald Darmanin après l’expulsion controversée d’un Tchétchène en Russie en avril 2021, selon une source proche du dossier, a révélé l’AFP ce jeudi.

Une source judiciaire a confirmé l’ouverture de cette information judiciaire à la suite de la plainte avec constitution de partie civile de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), de l’épouse et des enfants de Magomed Gadaev, un opposant notoire au dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov mais présenté par les autorités françaises comme affilié à la mouvance islamiste. Pour Manon Fillonneau, chargée du dossier migratoire à Amnesty International, cette enquête « est une bonne nouvelle » parce que ces expulsions ou tentatives sont « contraires au droit international » et ont valu « trois condamnations à la France en 2022 par la CEDH », la Cour européenne des droits de l’Homme.

Né en 1984 en Tchétchénie, engagé dans la rébellion tchétchène en 2002, Magomed Gadaev dit avoir tenté d’échapper au pouvoir tchétchène à partir de 2006 et avoir fait l’objet de violences, d’arrestations et de détentions. Il obtient en 2010 le statut de réfugié en Pologne, puis se rend en France en 2012, qui lui refuse l’asile. En 2019, le préfet de Haute-Vienne (centre-ouest), où réside Gadaev, entame une démarche pour obtenir sa réadmission vers la Pologne. Gadaev, connu au sein de la communauté tchétchène de France mais fiché « S » depuis 2013 par les services de sécurité, est « une menace pour l’ordre et la sécurité publics », justifient alors les autorités françaises, arguant qu’il « évolue dans la mouvance islamiste liée à la rébellion tchétchène ». Mais Varsovie refuse. Après de longs démêlés judiciaires, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) rend le 10 mars 2021 un avis estimant contraire au droit international son éventuelle expulsion vers la Russie.

Gérald Darmanin à Moscou

Le ministère de l’Intérieur prend néanmoins un arrêté ordonnant son expulsion vers Moscou le 8 avril 2021, exécuté le lendemain. Quelques mois après l’assassinat de l’enseignant français Samuel Paty, le 16 octobre 2020, par un jeune réfugié de cette région du Caucase, la France a en effet accéléré les expulsions des ressortissants tchétchènes, en subissant parfois des revers judiciaires cinglants, comme dans le cas d’un autre jeune tchétchène. Gérald Darmanin s’est même rendu à Moscou pour en discuter les modalités avec son homologue russe, suscitant des critiques d’associations sur le risque de tortures voire d’exécutions illégales.

Après son arrivée en Russie, Gadaev a été condamné à un an et demi de détention. Il a été libéré en août dernier, selon les sources d’Amnesty International et sa femme. Celle-ci, qui doit être entendue fin avril par la juge d’instruction, affirme que son époux est sous surveillance, sans possibilité de sortir du territoire.

La plainte d’avril 2021 pour complicité de disparition forcée, de détention arbitraire, d’actes de torture et de barbarie, ainsi que mise en danger délibérée de la vie d’autrui vise aussi nommément Seymour Morsy, alors préfet de la Haute-Vienne et Didier Lallement, alors préfet de police de Paris.

Mais Gérald Darmanin, signataire par délégation de l’arrêté d’expulsion du 8 avril, est aussi mis en cause par l’avocat des plaignants, Me Arié Alimi, car il a « collaboré avec les autorités russes et tchétchènes pour la disparition d’un demandeur d’asile. » « (Ses) actes récents confirment sa proximité idéologique avec ces régimes », a aussi lancé l’avocat. Une plainte distincte à la Cour de justice de la République a été classée en septembre 2021. Sollicité, le ministère de l’Intérieur n’a pas répondu dans l’immédiat.

Le Parisien