Ramzan Kadyrov, l’autocrate que Vladimir Poutine a installé à la tête de la république russe de Tchétchénie, accuse Macron d’être le « chef de file du terrorisme » et encourage les menaces contre les ressortissants français.
Kadyrov, à gauche, et Poutine, au centre, pour l’inauguration en 2008 de la grande mosquée de Grozny, baptisée du nom du père du président tchétchène (AFP/Getty images)
« Le président français devient désormais un terroriste. Soutenant les provocations, il appelle secrètement les Musulmans à commettre des crimes. Vous forcez les gens au terrorisme, poussez les gens vers lui, vous ne leur laissez pas le choix et vous créez les conditions pour nourrir les idées extrémistes dans l’esprit des jeunes ». C’est Ramzan Kadyrov, le président de la république russe de Tchétchénie, qui stigmatise en ces termes Emmanuel Macron, le 27 octobre, en réaction à l’hommage national à Samuel Paty. Une telle diatribe s’inscrit dans le cadre d’une campagne anti-française qui a atteint récemment des sommets de virulence.
L’HOMME DE POUTINE EN TCHETCHENIE
Kadyrov doit tout à Vladimir Poutine qui avait déjà placé en 2003 son père, le mufti Akhmat Kadyrov, un indépendantiste repenti, à la tête de la république russe de Tchétchénie. La mort, en 2004, de cet allié de Moscou, dans un attentat de la guérilla tchétchène, fait du jeune Ramzan Kadyrov son successeur désigné par le Kremlin. Elu à 30 ans en 2007 président par un parlement à sa botte, il impose depuis au million et demi de Tchétchènes la terreur de ses kadyrovski, les commandos de sa police politique, dont il épouse volontiers le look martial. La mise en coupe réglée de sa république lui permet de mener grand train et de régaler la jet-set internationale à Grozny (en 2012, il y offre ainsi à Gérard Depardieu un luxueux appartement). La répression de toute critique de Poutine s’accompagne d’une rigoureuse campagne « d’ordre moral », avec légitimation des traditions patriarcales (notamment les « crimes d’honneur » contre les femmes) et persécution des homosexuels.
Cet alliage d’absolutisme et d’obscurantisme conduit Kadyrov à s’acharner sur « Charlie-Hebdo ». L’attentat du 7 janvier 2015, où 12 personnes sont tuées au siège parisien de l’hebdomadaire, loin d’apaiser la hargne du leader tchétchène, le pousse à une nouvelle escalade. Douze jours plus tard, une marée humaine envahit le centre-ville de Grozny pour protester contre la poursuite de la publication de « Charlie Hebdo » et de ses caricatures par les survivants de la rédaction. Les kadyrovski ont multiplié les pressions sur la population pour que la manifestation soit la plus fournie. Kadyrov fustige devant la foule « ceux qui insultent la religion musulmane », avant de lancer cette terrible allégation complotiste: « L’incident pourrait avoir été organisé par les autorités et les services secrets des pays occidentaux souhaitant provoquer une nouvelle vague d’embrigadement pour l’Etat islamique ». Une telle veine conspirationniste continue d’inspirer Kadyrov quand, le 27 octobre 2020, il qualifie Macron de « chef de file du terrorisme ».
Manifestation-monstre contre Charlie-Hebdo, le 19 janvier 2015, devant la mosquée Akhmat-Kadyrov de Grozny (Reuters/Eduard Korniyenko)
MENACES SUR LES RESSORTISSANTS FRANCAIS
Un protégé de Kadyrov, le champion d’arts martiaux Khabib Nurmagomedov, originaire de la république voisine du Daghestan, a qualifié Macron « d’ordure » et prié pour qu’il soit « défiguré », ainsi que « tous ses disciples » de la « liberté d’expression » (le compte Instagram du sportif compte 25 millions d’abonnés, celui de Kadyrov ayant été suspendu du fait de ses outrances; ce post anti-français, diffusé en russe, a été « liké » plus de trois millions de fois). Encore plus grave, le mufti de Tchétchénie a accusé Macron d’être « l’ennemi de tous les Musulmans », ajoutant: « Les Français ordinaires, ceux qui ne soutiennent pas Macron, peuvent être tranquilles à Moscou et à Grozny. Ceux qui le soutiennent sont nos ennemis. Comment nous découvrons ce que pense tel ou tel Français? Nous lui demanderons. Et alors… Macron est loin de lui, il est là, donc ça peut être à lui de répondre pour les mots de son président ». De telles menaces engagent directement Kadyrov, qui contrôle d’autant plus étroitement le mufti que son propre père a longtemps occupé ce poste. Mais la responsabilité du Kremlin est aussi en cause, la Tchétchénie n’étant qu’une composante de la fédération russe.
La décapitation de Samuel Paty par un jeune réfugié tchétchène, le 16 octobre, n’a pas encore suscité de débat sérieux sur la propagande incendiaire diffusée en russe et en tchétchène à partir de la Russie. Bien au contraire, Jean-Luc Mélenchon a préféré jeter le doute sur l’ensemble de « la communauté tchétchène en France », proposant même de « reprendre un par un tous les dossiers des Tchétchènes présents en France ». C’est que le préjugé d’une Russie rempart, voire alliée dans la lutte contre l’islamisme demeure tenace, bien au-delà de la direction de LFI. Il n’est pourtant pas trop tard pour exiger de Poutine qu’il mette un terme à la campagne de haine anti-française menée depuis son territoire, comme Erdogan a fort légitimement déjà été sommé de le faire.