La première bataille de Grozny (1994-1995)

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Il y a 25 ans, le 31 décembre 1994, les forces fédérales russes ont lancé un assaut sur Grozny. Le siège de la capitale de l’Itchkérie a duré trois mois. Finalement, après de longs combats acharnés, les troupes russes ont pris le contrôle de la ville. Les pertes humaines totales des deux côtés au cours de l’assaut, sont supérieures à 8 000 personnes ; selon diverses estimations, de 5 000 à 25 000 civils ont péri à Grozny.

Contexte

Le 26 novembre 1994, après un assaut contre les opposants tchétchènes mal réussi, la Fédération de Russie tentent un assaut militaire désastreux sur Grozny. Les autorités russes commencent alors à préparer une intervention armée capable de « restaurer l’ordre constitutionnel ». dans cette « république rebelle ».

Le 11 décembre 1994, Boris Eltsine a signé le décret No. 2169 au sujet de «mesures visant à assurer la légalité, l’ordre juridique et la sécurité publique sur le territoire de la République tchétchène ». Le jour-même de la signature du décret, les troupes du ministère de la Défense et celles de l’Intérieur sont entrées sur le territoire de la Tchétchénie. 

Préparations à l’assaut

Le bombardement tchétchène de Grozny a commencé le 18 décembre 1994. Des bombes et des fusées sont lâchées principalement sur les quartiers résidentiels alors qu’il n’y avait là aucune concentration militaire. Malgré la déclaration du président de la Russie du 27 décembre 1994par laquelle il exige l’arrêt du bombardement de la ville, les forces aériennes ont continué le pilonnage de Grozny. 

Le 19 décembre 1994, les formations de la division aéroportée de Pskov, sous le commandement du général de brigade I. Babitchev, ont contourné Samachki par le nord et, soutenues par d’autres formations des forces fédérales, ont atteint la banlieue ouest de Grozny, où elles se sont heurtées aux  forces armées tchétchènes. 

Des passages de couloirs ouverts reliant Grozny à de nombreux villages tchétchènes permirent aux civils de fuir la zone des attaques, des bombardements et des combats2.

Alors que les formations et unités des forces fédérales russes entraient en  Tchétchénie, le gouvernement russe a fait une déclaration rappelant que le 15 décembre était le jour d’échéance d’un décret présidentiel qui stipulait que tous les membres des « groupes armés illégaux » qui rendraient volontairement les armes dans la zone des  conflits seraient amnistiés.

L’assaut sur Grozny

La décision définitive d’attaquer Grosny a été prise le 26 décembre 1994 lors d’une session du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, pendant laquelle Pavel Gratchiov et Serguéi Stépachine ont présenté un rapport sur la situation dans la république tchétchène. 

Alors que les forces militaires du gouvernement et le président de la Russie préparaient cette opération spéciale en Tchétchénie, les députés de la Douma d’État de la Fédération de Russie ont débattu de quelles mesures qu’il serait bon de prendre pour régler la situation dans la région. Selon Ivan Rybkine, le 23 décembre 1994, la Douma aurait adopté un décret imposant un moratoire immédiat sur toutes les actions militaires3.

Le 31 décembre 1994, les formations de l’armée russe ont néanmoins attaqué Grozny. Quatre bataillons militaires y ont mené « des batailles meurtrières concentriques » jusqu’à se rejoindre pour combattre au centre de la ville4.

Selon le plan prévu, les groupes militaires, protégés par l’aviation légère et celle de combat, avanceraient dans trois directions vers Grozny et le bloqueraient. Le nombre total des militaires était de 15 300 personnes, 195 chars, plus de 500 véhicules de combat d’infanterie, 200 canons et lance-mines, dont plus de 500 membres du corps militaire, 50 chars et 48 canons et lance-mines de la 131ebrigade de l’infanterie motorisée et le 503èmerégiment d’infanterie motoriséeen réserve.

En coopération avec les forces spéciales du ministère de l’Intérieur et du FSK, les troupes armées devaient s’emparer du palais présidentiel tchétchène, des édifices du gouvernement et de la gare ferroviaire en attaquant la ville, de manière simultanée, depuis le nord, l’ouest et l’est5.

Dès que les troupes sont entrées dans la ville, elles ont subi de graves pertes. Au nord-ouest, la 131ebrigade de l’infanterie motorisée (de Maïkop) et le 81erégiment de l’infanterie motorisée (de Samara), commandés par le général K.P. Poulikovski, ont presque été anéantis. Plus de 100 soldats ont été faits prisonniers. 

Positionnés dans des immeubles résidentiels, les militaires des forces fédérales tiraient sur les combattants tchétchènes également embusqués dans ces immeubles les deux parties faisant fi de la vie des civils7.

Le 2 janvier 1995, le service de presse du gouvernement russe a annoncé que le centre de la capitale tchétchène était « complètement encerclé ainsi que le palais présidentiel, par les troupes fédérales» Le chef du service de presse du gouvernement russe a reconnu que l’armée russe avait subi de grosses pertes humaines et techniques au cours de l’offensive sur Grozny en décembre 8.

Combats à Grozny après l’assaut de décembre 

Après l’offensive de décembre sur Grozny, les troupes russes ont changé de tactique: elles ont engagé des groupes d’assaut aériens soutenus par l’artillerie et l’aviation plutôt que de continuer à faire un  usage massif de véhicules blindés. S’est alors développée, à Grozny, la guerre de rues9.

Le 3 janvier, un grand nombre de civils détenus dans la zone d’opération du général L.Ia. Rokhline a été transféré de Grozny à Mozdok, un poste de filtrage.

Le 5 janvier, à Grozny les combats ont continué près du pont Baronovski, de l’hippodrome et de la gare. Le «palais présidentiel» et l’arrondissement Zavodskoï ont été bombardés, ainsi que les villages tchétchènes d’alentour. 

Le 6 janvier, les combats ont continué au centre-ville de Grozny, près du « palais présidentiel », de la gare et de l’hôpital municipal no. 1. Le centre et le nord de la ville ont subi des attaques d’artillerie.

Le 7 janvier, les troupes fédérales de Grozny et des régions voisines ont été placées sous le commandement des généraux L.Ia.Rokhline (le groupe « Nord ») et I.I.Babitchev (le groupe « Ouest »). Du 7 au 9 janvier, un autre assaut a été lancé sur Grozny, depuis lenord et l’ouest vers le centre-ville. Le « palais présidentiel », les quartiers résidentiels et les stations pétrolières ont été incendiés. L’aéroport et l’Université Technique Pétrolière ont été occupés. Les russes ont utilisé l’artillerie, des lance-mines et des lance-fusées.

Le 9 janvier à Grozny, les troupes fédérales ont pilonné le 2e hôpital pour enfants.

Dans la nuit du 10 janvier, une « déclaration du gouvernement de la Fédération de Russie » a été faite par radio à la demande de B.N. Eltsine. Dans cette déclaration, la proposition d’une trêve à des fins humanitaires a été remplacée par un ultimatum de capitulation dans les 48 heures. Bien que du côté russe on ait annoncé un cessez-le-feu unilatéral pour cette durée, le 10 janvier, après une courte trêve les combats ont repris à Grozny avec une ardeur renouvelée.

La bataille en centre-ville a duré jusqu’au 19 janvier,pendant que la brigade de police spéciale et les forces militaires du ministère de l’Intérieur de la Russie fouillaient les arrondissements de Grozny par ailleurs contrôlés par les forces fédérales.

Le 18 janvier, le président russe B. N. Eltsine s’exprimait ainsi à la télévision : « Nous ne parlerons pas à Doudaïev ». Les négociations de cessez-le-feu, pour lesquelles les émissaires de Doudaïev étaient arrivés, ont été annulées à cause de l’absence des représentants du commandement militaire russe. C’est exactement ce jour-là que les forces fédérales « Nord » et « Ouest » ont fait leur jonction au centre-ville de Grozny.

Dans la nuit du 18 au 19 janvier, après le bombardement du « palais présidentiel », les détachements tchétchènes ont fui. Le lendemain, le 19 janvier 1995, les troupes fédérales de Russie ont occupé ce qui restait du « palais présidentiel » de Grozny. En même temps, Eltsine a annoncé la fin de la phase militaire du conflit.

Après la prise du « palais présidentiel » à Grozny, les combats ont persisté, mais à plus petit échelle. La ligne de démarcation entre les belligérants suivait le cours de la rivière Sounja.

Du 26 janvier au début mars 1995, les troupes russes prennent peu à peu le contrôle des quartiers de la rive gauche de Grozny et de sa banlieue sud10.

Au début du mois de février 1995, le nombre de militaires dans l’armée russe a été porté à 70 000 personnes. Le colonel général Anatoly Koulikov est devenu le nouveau commandant.

Le 1erfévrier 1995, la frontière entre la Tchétchénie et l’Ingouchie a été bloquée par des postes de contrôle, et les habitants ne purent plus quitter librement la zone du conflit. Le même jour, le Bureau du Procureur général de la Russie a décidé de poursuivre D. Doudaïev pour l’emprisonner. Un avis de recherche contre lui a été lancé dans toute la Russie12.

Le 3 février 1995, a été formé le groupement « Sud » en charge de planifier le blocus de Grozny par le sud13.

Le 8 février 1995, les  services administratifs du délégué à la défense des droits de l’homme en Russie S.A. Kovaliov ont publié une estimation du nombre de civils tués à Grozny, à savoir environ 25 000 personnes. En même temps, Anatol Liven, qui se trouvait à Grozny au cours de l’assaut, a fourni  des témoignages, selon lesquels  le nombre estimé de victimes civiles était de 5 000 personnes, sans compter ceux qui avaient perdu leurs vies pendant les raids aériens avant l’assaut (environ 500 personnes)14 15.

Le 9 février, les détachements tchétchènes, qui s’étaient retirés au sud de Grozny, ont arrêté l’avancée des troupes fédérales dans la banlieue de Grozny, à la frontière de la route Rostov-Bakou. Les détachements tchétchènes commandés par Chamil Bassaïev sont restés dans Tchernorétchié, la région sud de Grozny.

Le 13 février, dans le village de Sleptsovskaïa, un premier accord d’armistice a été conclu entre le commandant de l’armée russe, le colonel-général A.S. Koulikov, et le chef de l’état-major des forces armées de la RTI, A. Maskhadov. À Grozny, des échanges de prisonniers ont eu lieu. Les deux parties ont pu retrouver et emporter les corps des victimes hors de la ville. La trêve devait durer jusqu’au 19 février à 18 heures.

Les deux parties adverses se sont entendues pour reprendre les négociations le 21 février. Mais le 18 février les bombardements intensifs d’artillerie et les attaques à la roquette des troupes fédérales sur les positions tchétchènes reprenaient de plus belle, le long de la ligne Chali-Argoun-Goudermes, tandis que les Tchétchènes ne ripostaient pas.

Selon les messages du commandement des forces fédérales, un groupe de combattants tchétchènes de 80 personnes a attaqué les troupes fédérales dans la partie sud de Grozny en utilisant des lance-grenades et des lance-mines. À la suite d’un combat qui a duré plusieurs heures, le détachement tchétchène a été défait.

Le 19 février 1995 le gouvernement russe a fait une déclaration, selon laquelle l’attaque tchétchène massive contre les unités russes dans le sud de Grozny avait annulé toutes les possibilités de paix et torpillé de fait les négociations. Le colonel-général A.S. Koulikov a attribué le refus de négocier à « la trahison de Maskhadov, qui a lancé une offensive et s’est avancé vers de nouvelles frontières dans la région de Chali-Argoun-Goudermes »16.

Le 21 février 1995, les troupes russes ont irrévocablement bloqué Grozny17.

Dans la nuit du 21 février 1995, les forces fédérales ont attaqué les positions tchétchènes au sud de Grozny18.

À partir de fin février – début mars 1995, les troupes internes du ministère de l’Intérieur de la Russie sont passées à des opérations actives dans l’ouest de la Tchétchénie. Les alentours de plusieurs villages ont été mitraillés, pendant que des combats de rue se poursuivaient à Grozny, mais les troupes tchétchènes, n’ayant pas de soutien, se sont finalement retirées hors de la ville20.

Le 6 mars 1995, les troupes internes du ministère de l’Intérieur de la Fédération de Russie ont occupé la région sud de Grozny, Tchernorétchié. Ainsi, trois mois après le début des actions militaires, la dernière région de Grozny contrôlée par les troupes tchétchènes est passée sous le contrôle des forces fédérales21.

Pertes pendant « l’opération de Grozny »

Selon la communication de l’état-major général, du 31 décembre 1994 au 1 janvier 1995, les pertes de l’armée russe étaient de 1 426 personnes tuées, 4 630 soldats blessés, 96 soldats et officiers capturés par les forces armées d’Itchkérie, plus de 500 personnes portées disparues.

Selon la Russie, du 11 décembre 1994 au 8 avril 1995, les pertes des opposants tchétchènes étaient de 6 900 personnes tués et 471 militants capturés. Les pertes techniques étaient de 64 chars détruits (plus 14 chars confisqués), 71 véhicules de combat d’infanterie détruits (plus 61 véhicules de combat d’infanterie et de transports de troupes confisqués), 108 canons détruits (145 canons confisqués), 16 installations « Grad » détruites,  11 dépôts de munitions saisis. Le 21 février 1995, Grozny a été définitivement  bloquée par les troupes russes22.

Sources:

  1. Bombardements imprécis et canonnade non sélective des lieux habités // Russie — Tchétchénie: une chaîne d’erreurs et de crimes // Centre de défense des droits de l’homme « Mémorial ». 
  2. La chronique du conflit armé // Centre de défense des droits de l’homme « Mémorial ». 
  3. Les faces du temps // Radio « Svoboda », 26.12.2009. 
  4. La chronique du conflit armé // Centre de défense des droits de l’homme « Mémorial ». 
  5. Grozny: la neige saignante de la nuit de Nouvel an // La chronique militaire indépendante, 10.12.2004. 
  6. La chronique du conflit armé // Centre de défense des droits de l’homme « Mémorial ». 
  7. Operations de prise et assauts sur des localités // Russie — Tchétchénie: une chaîne d’erreurs et de crimes // Centre de défense des droits de l’homme « Mémorial ». 
  8. La chronique du conflit armé // Centre de défense des droits de l’homme « Mémorial ». 
  9. La première guerre tchéchène de 1994 – 1996 // Agence d’information russe « Novosti » , 11.12.2014. 
  10. La chronique du conflit armé // Centre de défense des droits de l’homme « Mémorial ». 
  11. La première guerre tchéchène de 1994 – 1996 // Agence d’information russe « Novosti », 11.12.2014. 
  12. La chronique du conflit armé // Centre de défense des droits de l’homme « Mémorial ». 
  13. La première guerre tchéchène de 1994 – 1996 // Agence d’information russe « Novosti » , 11.12.2014. 
  14. Chechnya: Tombstone of Russian Power, Published by  
  15. YaleUniversityPress, 1998. 
  16. La chronique du conflit armé // Centre de défense des droits de l’homme « Mémorial ». 
  17. Grozny: la neige saignante de la nuit de Nouvel an // La chronique militaire independante, 10.12.2004. 
  18. La chronique du conflit armé // Centre de défense des droits de l’homme « Mémorial ». 
  19. La chronique du conflit armé // Centre de défense des droits de l’homme « Mémorial ». 
  20. La première guerre tchéchène de 1994 – 1996 // Agence d’information russe « Novosti », 11.12.2014. 
  21. La chronique du conflit armé // Centre de défense des droits de l’homme « Mémorial ». 
  22. Grozny: la neige saignante de la nuit de Nouvel an // La chronique militaire independante, 10.12.2004. 

© Kavkazski ouzél (Le nœud caucasien)

Note de la rédaction :

Il est nécessaire de noter que l’armée et les médias russes ont généralement sous-estimé leurs pertes et ont exagéré les forces et les pertes des Tchétchènes. Il est évident que, si on tuait 1700 personnes (militaires) par mois dans une nation de 1 à 1,2 million d’habitants, celle-ci perdrait rapidement sa force de résistance. D’une manière générale, la première guerre de Tchétchénie a été marquée par des pertes relativement faibles par rapport à l’ensemble des forces armées d’Itchkérie.