Les Caucasiens ne sortent des prisons russes que dans un cercueil

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Au cours des six derniers mois, le nombre de prisonniers tchétchènes, tués dans les prisons russes, alors qu’ils devaient être libérés dans quelque mois,a augmenté.

С’est ce que racontent certains d’entre eux qui ont réussi à sortir vivants de la prison. Les Daghestanais et les Ingouches que les agents fédéraux trouvent dangereux pour les autorités disparaissent aussi, selon la même méthode.

La semaine dernière, le Tchétchène Timour Khasanov, qui avait purgé une peine de presque 16 ans pour avoir participé aux actions militaires contre les forces fédérales, a été brutalement assassiné à l’ÉMP-33 (établissement médico-pénitentiaire) de la ville de Mariïnsky dans la région de Kémérovo. Selon ses compagnons de cellule, le corps du mort, noir et bleu de coups, a été à la hâte rendu à ses proches et a été également à la hâte enterrée en République Tchétchène. Le corps n’a pas été autopsié, donc la cause du décès est incertaine. Les proches de Timour ont pris son corps et l’ont enterré, avant le lever du soleil.

L’ÉMP-33 a envoyé une brève lettre, à sa femme, en Allemagne. Cette lettre l’informait que les documents concernant la mort de Timour Khasanov avaient été envoyés au département des enquêtes de la ville de Mariïnsk qui dépend du comité d’enquête de la Fédération de Russie, dans la région de Kémérovo. Mais cet envoi a été fait après que ses compagnons de cellule aient divulgué par tous les moyens de communication dont ils disposaient, les conditions horribles de l’assassinat de Khasanov ; il n’était donc, alors, plus possible de le cacher.

Un ancien compagnon de cellule de Timour Khasanov, qui a voulu rester anonyme pour des raisons évidentes, a dit à « Ékho Kavkaza » (l’Écho du Caucase) que Timour avait passé ses deux derniers mois de prison avec des prisonniers malades de tuberculose, et qu’il y avait été intentionnellement placé par la direction même de la prison:

 « Je suis sorti de la CP-41 il n’y a pas longtemps, et je viens d’apprendre que Timour Khasanov est mortà l’ÉMP-33. Timour était en bonne santé, et on l’a intentionnellement transféré dela CP-41 à l’ÉMP-33, pour qu’il contracte la tuberculose. J’ai passé six ans dans la CP-41, et j’ai vu comment on y traite les Tchétchènes. On ne les traite pas comme les autres prisonniers, on les méprise. Pendant mon emprisonnement j’ai fait la connaissance de Timour Khasanov. Je n’ai que de bonnes choses à dire sur lui. Ce n’était pas une méchante personne. Mais l’administration de la prison le qualifiait de terroriste ».

Un autre ancien compagnon de cellule de Timour, qui habite dans une ville russe, confirme cette information :

« Depuis 2003, dans notre camp, l’habitude était de transférer les Tchétchènes, les Daghestanais, les Ingouches (et les Caucasiens) d’autres camps, à la colonie 16, qui était une zone où sévissait la tuberculose. S’il y avait quelqu’un en bonne santé qui n’était pas apprécié car impossible à briser, il était’envoyé à la colonie 16, où tout le monde était malade de tuberculose. Les indociles y étaient transférés sous le prétexte qu’il fallait les examiner ; Ils étaient enfermés dans des chambres avec des prisonniers atteints d’une forme de tuberculose très contagieuse : comme la caverne pulmonaire. Bien sûr, ils contractaient cette maladie et en mouraient. La même chose se pratique encore aujourd’hui. J’ai vu et entendu beaucoup de choses au cours des huit années que j’ai passées là-bas. Les employés (des établissements pénitentiaires) travaillent dans la plus totale illégalité ».

La direction de la prison se débarrasse ainsi des Caucasiens indésirables et récalcitrants, en les envoyant là où ils n’ont aucune chance de survivre. L’ancien compagnon de cellule de Timour Khasanov poursuit :

« Dans la 33ème colonie de Mariïnsky, il (Timour Khasanov) n’a été ni le premier ni le dernier à être tué. Au cours des huit années de mon séjour en prison, j’ai pu moi-même voir et entendre beaucoup de choses, desquelles je peux témoigner personnellement. On amenait des prisonniers d’autres camps qui nous racontaient comment on y tuait et torturait. Tout cela parce qu’ils sont tchétchènes, ingouches ou daghestanais. Dans la région de Kémérovo, sont emprisonnés de nombreux Caucasiens. Et, il y en a aussi beaucoup dans toute la Russie ».

Selon notre interlocuteur, dans la colonie 33 de Mariïnsk, un grand nombre de Caucasiens sont morts depuis 2003. Outre l’envoi à la prison de « la tuberculose », la direction a plusieurs autres moyens : d’extermination

« Maintenant cette colonie 33 à Mariïnsk est connue. Tout le monde sait comment on y torture, combien de personnes y meurent chaque année. Une anarchie totale règne dans les prisons de la région de Kémérovo. Beaucoup de Caucasiens sont morts, bien avant Timour, dans les colonies 41, 16, et 33. Parceque je suis caucasien, on peut m’envoyer directement dans une cellule d’isolement juste parce que j’ai oublié de boutonner un bouton. Et même, après que je l’ai boutonné on m’insultera et on me rouera de coups. Il est aussi habituel de voir 7, 8, 9 personnes (des employés de la prison) s’enfermer dans une cellule pour y battre un prisonnier jusqu’à ce que mort s’ensuive. On écrit ensuite qu’il est tombé malade, qu’il a été atteint de tuberculose ou d’une crise cardiaque bref, des explications fantaisistes. Puis on déclare sa mort comme naturelle et on fait emporter le corps ».

Un  ancien prisonnier, Ali, qui habite l’Ingouchie, était présent aux funérailles de Timour Khasanov en République tchétchène, le 26 mars. Pour lui les conditions de détention dans les prisons russes et l’anarchie qui y règne doivent faire l’objet d’une grande attention :

« Je m’appelle Ali, je viens d’Ingouchie. J’ai fait mon temps à la CP-41 il y a trois ans. Je peux dire que l’attitude des gardiens de prison était très partiale envers nous. Cela se manifestait en toutes choses. Sous toutes sortes de prétextes, on nous enfermait dans des cachots, aux conditions de détention plus strictes que celles qui règnent dans les cellules habituelles. Il est ainsi facile de deviner quelles ont été celles de Timour Khasanov : la faim, le froid, l’humidité. Dans de telles conditions on attrape rapidement la tuberculose et on en meurt. Il faut beaucoup de temps pour tout vous raconter».

Dans la prison d’Arkhanguelsk, un autre tchétchène qui purge sa peine de 18 ans, nous dit que personne ne demande à la direction de la prison pourquoi et comment un prisonnier est mort. Il est d’usage de se débarrasser des prisonniers qui, comme Timour Khasanov, sont des résistants de guerre.

« Un prisonnier tchétchène plus ou moins connu n’a jamais été libéré vivant et ne le sera jamais. Les tchétchènes sont tous placés sous la surveillance spéciale des autorités pénitentiaires. On met du poison dans ce qu’ils mangent, ou encore, on leur fait une injection mortelle. On connaît de nombreux cas de ce genre.Personnellement, j’ai connu Salman et Tourko qui ont été tués de cette façon. La même chose est organisée pourceux qui purgent une peine à vie.

La plupart des Tchétchènes emprisonnés sont ceux qui ont été capturés pendant les opérations de nettoyage dans leurs propres maisons ou kidnappés dans les postes frontaliers par des militaires russes. Nous tous, qui n’avons commis aucun crime, avons été condamnés de 10 à 20 ans par des procédures judiciaires expédiées à toute vitesse. Ceux qui faisaient parti de la résistance subissent des conditions de détention infernales. Beaucoup d’entre eux ont d’ailleurs été condamnés après des verdicts ridicules, leur culpabilité n’ayant pas été prouvée.

On nous a détenus et condamnés pour nous éloigner de la république tchétchène afin de pouvoir la transformer tranquillement. Les autorités russes en ont pris le contrôle en toute illégalité — elles ont capturé et condamné les uns, torturé et tué les autres, détruit ce qui restait sans laisser de trace. Quant à nous, qui sommes dans leurs mains elles nous tuent impunément ».

Tous nos interlocuteurs affirment qu’il existe un ordre tacite de la direction supérieure de Moscou, pour que les autorités pénitentiaires ne libèrent pas les Caucasiens car ils représenteraient un danger.

Notre interlocuteur de la prison d’Arkhanguelsk se souvient de sa conversation avec un de ses visiteurs. L’hommene s’était pas présenté, mais la direction de la prison l’avait autorisé à poser des questions aux prisonniers.

« Un russe âgé est venu à la prison, accompagné par une secrétaire avec un ordinateur portable, sur lequel elle notait tout ce que nous disions.  Pour ce faire, nous avons été convoqués un par un.

 Voici quelques-unes de ses questions :

  • Est-ce que je vais me venger après mon retour chez moi ?
  • Est-ce que je vais me venger de ceux qui m’ont détenu et condamné ?
  • Est-ce que je vais me venger personnellement du juge et du procureur ?

 J’ai répondu que je n’allais me venger de personne, que je voulais retourner chez moi, pour revoirma vieille mère, ma femme et mes enfants.

Puis il m’a dit : 

– « Savez-vous ce que les agents (des services de l’ordre) nous conseillent? Ils nous demandent de ne pas vous libérer, mais d’en finir avec vous ici. Ils disent que vous êtes dangereux ».

Où que nous soyons, nous restonsdes cibles vivantes.

Que ce soit dans,ou hors de prison, on nous torture, on nous tue, et tout le monde se fiche de savoir si c’est légal ou pas, peu importe la raison. Encore pire, si un prisonnier rentre chez lui, il n’y a aucune garantie qu’il y vive plus de deux mois : On le tue, on place une arme à ses côtés et on rend compte de l’événement, en disant «Il a repris ses activités d’autrefois» . Et ils se débarrassent de notre dossier.

En 2000 et 2001, des dizaines de milliers de Tchétchènes arrêtés lors des opérations de nettoyage conduites par des militaires russes, ont été condamnés à de lourdes peines, dans le Caucase du Nord. Chaque jour, les tribunaux de Stavropol, Iessentouki, Vladikavkaz et Piatigorsk rendaientdes verdicts de culpabilité pour des affaires fabriquées à la hâte. 

Il est vraiment temps de libérer ceux qui ont déjà enduré 13-15 ans de prison.

Sinon, selon nos interlocuteurs, dans un avenir proche, bien d’autres prisonniers Caucasiens décéderont ainsi, de manière inexpliquée.

ekhokavkaza.com

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Adsou Dakh
Adsou Dakh
5 années il y a

Je connais pas mal des histoires avec tchétchénes tués dans les prisons russes avant leurs libérations, un ou deux mois et par fois une semaine avant.
C’est un l’ordre non officiel qui descend de la part d’autorité russe.