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L’avocat Alexei Obolénets explique pourquoi les Caucasiens recherchent l’asile en Europe
La Tchétchénie est une région avec le plus grand nombre d’ habitants recherchés par Interpol. La banque de données d’Interpol comprend aussi beaucoup d’Ingouches et de Daghestanais. L’avocat Alexei Obolénets explique à « Kavkaz.Réaliï » pourquoi c’est le cas.
– Alexei, comment Interpol réagit-elle aux déclarations des Caucasiens qui disent être poursuivis pour des motifs politiques ?
– Le plus important, ce ne sont pas les motifs de la recherche, mais le fait qu’Interpol les « avale » sans vérifier. Par exemple, les Tchétchènes sont recherchés pour des motifs nationaux et religieux. C’est une conséquence de la situation politique en Russie. Les Daghestanais, Ingouches et d’autres représentants des peuples du Caucase sont recherchés pour des motifs religieux, sous le prétexte qu’ils professent un « mauvais » Islam.
C’est seulement maintenant qu’Interpol commence, à contrecœur, à admettre qu’il y a un élément politique dans les dossiers contre des citoyens russes. Pourtant, elle ne voit pas encore d’éléments nationaux et religieux. En même temps, le nombre des Tchétchènes recherchés (160 personnes seulement dans la base de données ouverte) dépasse le nombre des citoyens américains ou chinois.
La langue tchéchène est la seule langue non-officielle qui est considérée par Interpol comme une caractéristique identifiante. Elle ne mentionne aucune autre langue de la Russie. Seulement le russe et le tchétchène.
–Quelles sont les accusations ?
– L’aide au terrorisme. Par exemple, Aminate Akouïéva, qui est maintenant en Allemagne, est considérée complice à cause d’un appel sur son portable.
Les enquêteurs affirment que son interlocuteur a été aperçu contactant une personne tuée pendant une opération antiterroriste. Nous avons examiné la facture de téléphone, et cet appel n’y figure pas. Cependant il y a des informations confirmant que certaines personnes ont été torturées.
Il est devenu “branché” d’accuser de la participation aux actions militaires en Syrie. On accuse tous les groupements militaires (souvent même ceux qui s’opposent l’un à l’autre). Le problème syrien domine depuis 2013. On compte des dizaines, voire des milliers de ces dossiers. Il faut préparer des plaintes collectives.
Il existe la plupart du temps des preuves que la personne ne pouvait pas physiquement traverser la frontière syrienne, mais Interpol ignore ces faits.
– Quels réfugiés sont maintenant dans le plus grand danger?
– Il y a un certain nombre de personnes en Tchétchénie et au Daghestan qui ont été emprisonnées pour avoir organisé un acte terroriste ou participé aux groupes armés illégaux (art. 205 et 208 du Code pénal de la Fédération de Russie). Ce sont de potentiels condamnés à mort. Il y a des informations que de telles personnes sont plus tard enlevées et tuées sous le prétexte d’une opération antiterroriste. On trouve les cadavres dans les forets, on le fait à la chaine. Personne ne s’est occupéde cette question.
C’est pour cette raison que des personnes condamnées en vertu de ces articles fuient en Europe, mais les officiers de l’immigration leur disent:« Vous n’avez pas de cause criminelle, vous venez de sortir de la prison, personne ne touche à vos proches ». Les fonctionnaires européens pensent que ces gens fuient pour des motifs économiques. Ce n’est pas le cas. Ils ne fuient pas la pauvreté, mais la mort.
De plus, en Europe on craint que derrière chaque réfugié tchétchène se trouve Ramzan Kadyrov (chef de la République de Tchétchènie) ou Vladimir Poutine (président de la Fédération de Russie).
En conséquence, on déporte ces personnes en Russie, où elles disparaissent très rapidement. J’appelle cela le «problème de l’article 208».
– Que faire si vous avez trouvé votre nom dans la base de données d’Interpol?
– Si vous êtes recherché sans motif légal, vous devez contacter la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol et demander la suppression des données. Mais pour cela, vous devez parler la langue anglaise, française, arabe ou espagnole.
Si la personne est dans l’Union européenne ou en Ukraine, il faut demander l’asile en s’adressant au Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Mais cela ne fonctionne pas toujours. Par exemple,en Arabie Saoudite il n’y a pas de bureau des Nations Unies, en Égypte on ignore les demandes, en Grèce tout fonctionne très lentement (je m’y suis adressé il y a une semaine, ils m’ont rappelé hier, mais la personne est de toute évidence déjà extradée).
En Europe de l’Est, la situation est encore pire. Parfois des organisations de défense des droits de l’homme prêtent la main, en particulier l’organisation Vayfond, avec laquelle nous travaillons. Le problème est que parfois le réfugié lui-même ne comprend pas ce qui se passe.
Une personne aux penchants criminels trouvera toujours un moyen pour rester dans le pays qu’elle a choisi. Elle obtiendra un faux passeport ou trouvera un partenaire pour un mariage blanc. Une personne sans talents criminels n’est pas capable de profiter des points faibles de la législation.
– Combien de temps faut-il pour supprimer un dossier de la base d’Interpol?
– Si le pays ne fournit pas de preuves de la culpabilité de la personne recherchée, cela peut prendre de deux semaines à un an et demi.
Mais ce n’est pas une panacée. On peut lui refuser le refuge en disant qu’il n’est plus recherché, donc sa vie n’est plus en danger. Les fonctionnaires ont des instructions stipulant les règles d’interaction avec les réfugiés, mais ils font exactement le contraire.
La société occidentale est prête à tolérer les massacres des habitants du Caucase du Nord et leur persécution pour des causes nationales ou religieuses. Pour changer la situation, il faut travailler avec les politiciens et les journalistes. Ce ne sont pas les avocats qui doivent s’en occuper. Il est possible de supprimer les dossiers d’un million de personnes dans la base d’Interpol, mais cela ne changera pas la situation.
De plus, la Russie renforce son influence. Vladimir Voronkov, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de l’ONU, est devenu le chef du Bureau de lutte contre le terrorisme à l’ONU.
La Russie a pris non seulement l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, mais aussi le Bureau de lutte contre le terrorisme. Vous pouvez imaginer combien d’informations sont maintenant contrôlées par les services spéciaux russes.
Bien sur les Tchétchènes fuient le danger, personne ne par de ça mais les tortures et les assassinats continuent