Libération : L’ex-soldat Adrien Bocquet a aussi menti sur son passé militaire

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Epinglé par «CheckNews» pour les incohérences et mensonges du récit de son voyage en Ukraine, l’ex-soldat français a aussi menti, selon de nouveaux éléments de notre enquête, sur ses états de service, ainsi que sur des faits d’armes qu’il s’attribue dans son livre.

Adrien Bocquet lors d'un passage sur le plateau de «Touche pas à mon poste». (C8)
Adrien Bocquet lors d’un passage sur le plateau de «Touche pas à mon poste». (C8)

Adrien Bocquet lors d’un passage sur le plateau de «Touche pas à mon poste». (C8)

par Alexandre Horn

publié le 7 juin 2022 à 7h10

Jusqu’où vont les mensonges d’Adrien Bocquet ? Le 24 mai, CheckNews révélait l’ampleur des affabulations du Français concernant son voyage humanitaire en Ukraine, au cours duquel il prétendait avoir assisté à des crimes de guerre perpétrés par des soldats de Kyiv, membres du bataillon Azov. Des affabulations manifestes qui n’ont pas empêché Moscou de reprendre ce récit fantasmé dans un document très officiel transmis à l’ONU fin mai. Mais la suite de notre enquête montre que les inventions de l’ex-soldat vont bien au-delà de l’Ukraine. Son passé de militaire est en réalité éloigné du tableau qu’il se plaît à dépeindre lors de ses interventions médiatiques et dans son livre : il n’a jamais été commando, a créé des évènements de toutes pièces et, selon le président de l’une d’elles, a trompé des associations d’anciens combattants.

Adrien Bocquet est systématiquement présenté comme un ancien militaire dans ses nombreuses interventions médiatiques. Ce fut le cas durant sa tournée des plateaux pour parler de son périple ukrainien, ou encore lors de la promotion de son livre Lève toi et marche, où il narre sa blessure, sa paralysie, et son difficile chemin pour recouvrer la mobilité. La plupart du temps, il est plus précisément présenté comme un fusilier commando, un titre prestigieux qu’il arbore, et qui a participé à son écho médiatique. Mais suite à notre premier article, l’armée de l’Air s’est fendue d’une mise au point, affirmant à CheckNews qu’Adrien Bocquet avait en réalité «été blessé durant sa formation de fusilier commando». En conséquence de quoi, «il n’a pu la terminer et n’a donc jamais été commando dans l’armée de l’air».

Moins de deux ans de service effectif

D’après des éléments obtenus par CheckNews et confirmés par le ministère des Armées, le temps passé par Adrien Bocquet sous les drapeaux est relativement court. Il effectue un premier passage dans l’armée de l’air au sein d’un escadron de protection du 27 juillet 2009 jusqu’au 25 juillet 2010, quand le jeune soldat dénonce son contrat. Comprendre qu’il quitte l’armée une première fois, de sa propre initiative. Il retourne ensuite dans ce corps militaire du 19 avril 2012 au 27 mars 2013, date à laquelle il bascule en congé longue maladie. Et ce, jusqu’à ce qu’il soit «reformé définitivement pour inaptitude au service après épuisement de ses droits de congés longue maladie en mars 2016», précise le ministère des Armées.

Comme nous l’avons écrit dans notre précédente enquête, Adrien Bocquet a occupé à partir de 2012 un poste de magasinier dans un escadron de ravitaillement et de soutien logistique sur une base aérienne, ce qu’il rapporte également dans son livre. Parmi ses anciens camarades, ce dernier a surtout laissé le souvenir d’un grand bavard. CheckNews a échangé avec un militaire qui a été sur la même base aérienne que lui à cette époque. «Je ne l’ai pas connu longtemps, mais il a menti plusieurs fois pendant le bref passage où je l’ai croisé. Une base, c’est un village, tout le monde se connaît. On se retrouvait souvent le soir, à la [cantine] de la base, c’est là que je l’ai croisé. Il a commencé à nous raconter qu’il était instructeur de tir pour les officiers, ce qui m’a étonné. J’ai découvert qu’il avait dit au mec de la cantine qu’il était au DRSD [Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense, soit le service de renseignement de l’armée, ndlr], ce qui n’a rien à voir. Il se faisait passer pour un James Bond, un Daniel Craig.»

Toujours d’après le militaire qui l’a croisé, Adrien Bocquet se fait alors appeler Paul Mahieu, pseudo que l’on retrouve dans l’URL de son compte Facebook. «Un gendarme de l’air a cherché Paul Mahieu [dans les fichiers] sans rien trouver. Il a fini par voir qu’il y avait marqué Bocquet sur son treillis, ils ont cherché à ce nom et nous ont dit ne pas le croire, ils nous ont prévenus que c’était un mytho. Donc on a arrêté de le côtoyer.»

Non seulement Adrien Bocquet n’a pas terminé sa formation commando, arrêtée à cause d’un accident, mais, d’après nos informations, ce dernier n’a pas non plus été auxiliaire sanitaire (un poste de soignant) dans l’armée, comme il le prétend encore largement aujourd’hui et dans son livre : «Il n’y a nulle trace dans son dossier administratif d’une implication comme auxiliaire sanitaire au sein de l’armée de l’air», confirme à CheckNews le ministère des Armées.

Le sauvetage imaginaire d’un pilote de Mirage

Pourtant, parmi les faits d’armes que revendique Adrien Bocquet dans son livre, en qualité d’auxiliaire sanitaire, ce dernier rapporte une scène qui se serait déroulée à l’étranger. Un crash d’un avion de chasse, un Mirage 2000. Il écrit : «Nous ignorons s’il s’agit d’un bombardement ou d’une attaque, mais nous comprenons très rapidement qu’il faut se rendre sur place pour porter secours au pilote. Assistés par des commandos, nous partons en direction de l’accident sans savoir ce qui nous attend. Je me sens à la fois anxieux et excité. Nous sommes en pleine nuit, la chaleur a laissé place au vent glacial qui nous claque au visage.» Ce dernier explique ensuite comment, n’écoutant que son envie d’action, il aurait désobéi à son supérieur pour réussir à retrouver le pilote de l’avion au bout de plusieurs heures : «Soudain, je ne sais pas par quel miracle, le pilote, qui s’était éjecté de son avion, est devant nous, allongé à terre. […] L’homme qui gît à terre est inconscient et, à première vue, paraplégique.» Et d’ajouter comment son chef d’unité l’aurait félicité, sans qu’une reconnaissance officielle n’ait lieu.

Selon les informations transmises par l’armée de l’Air à CheckNews, Adrien Bocquet n’a jamais participé à une opération extérieure. Comprendre : il n’est jamais allé à l’étranger en tant que soldat de l’armée française. Et est encore moins intervenu sur un crash d’avion en tant que soignant, l’armée n’ayant pas trouvé trace d’un emploi d’auxiliaire sanitaire, comme expliqué plus haut. Confronté à ces éléments, Adrien Bocquet nous a d’abord menacés de poursuites, avant de nous fournir une supposée preuve de cet évènement, à savoir une photo, à condition que nous ne la diffusions pas : «Je vais vous envoyer une photo qui est classifiée ! Vous aurez enfin la preuve que vous voulez.»

Etrangement, Adrien Bocquet ne semble pas avoir jugé nécessaire de prendre les mêmes précautions il y a deux ans, quand il s’est permis de partager cette même photo lors d’un passage dans l’émission Touche pas à mon poste sur C8. Le cliché a même été diffusé à l’antenne, sans, cette fois-ci, flouter le numéro d’identification de l’appareil. Il a également été transmis à d’autres journalistes, comme preuve de son passé militaire. Sur l’image, on reconnaît le jeune soldat en treillis, qui prend la pose devant une carlingue d’un Mirage 2 000 en piteux état. Il porte une chasuble orange estampillée «équipe médicale», ce qu’il considère être «la preuve de l’existence de ce crash de [sa] présence en tant que qualité de auxiliaire sanitaire», ajoutant ne pas pouvoir nous transmettre plus de détails sur le lieu et la date des faits.

 

La «preuve» apportée par Adrien Bocquet de sa présence sur le lieu du crash d’un Mirage 2000 où il assure avoir porté assistance au pilote éjecté. (DR)

Mais la chasuble et les maigres éléments transmis par Adrien Bocquet ne prouvent rien. Pire encore, ils permettent de révéler une grossière imposture. CheckNews a réussi à identifier l’accident en question à partir de la photo. Les crashs de mirage 2000 sur le territoire français étant peu fréquents, ils ne passent pas vraiment inaperçus. Il n’y en a eu que deux durant le court service d’Adrien Bocquet, dont un le 11 mai 2010, à côté de la base aérienne de Mont-de-Marsan (Landes). Base où Adrien Bocquet était justement stationné du 27 juillet 2009 au 25 juillet 2010. Et c’est bien le mirage tombé ce jour-là que l’on distingue sur la photo.

Ce crash accidentel, dû à une défaillance, n’a rien de classifié. Il a été médiatisé par la presse locale et nationale, et les autorités ont spontanément communiqué sur le sujet. Le ministère des Armées a d’ailleurs publié un rapport sur l’accident, 46 pages qui détaillent les circonstances de la chute de l’appareil et le déroulé des faits. On peut notamment retrouver page 13 une photo de la carcasse du Mirage 2000, en tous points similaires à celle transmise par Adrien Bocquet. L’ex-militaire en moins.

 

Un crash à l’étranger ? Pas du tout, un accident dans les Landes, relayé par la presse et documenté par le ministère des Armées.

L’accident n’a donc pas eu lieu à l’étranger, mais en France. Ce qui est presque anecdotique au regard du mensonge principal : bien loin d’un sauvetage haletant en pleine nuit, le rapport et les articles de presse rapportent que le pilote a été secouru «par les pompiers de la base aérienne, moins d’une heure plus tard, sain et sauf», et non pas «à première vue, paraplégique», comme dans le récit d’Adrien Bocquet. Le pilote n’a, selon la même source, eu besoin d’être sauvé ni par Bocquet ni par quiconque, puisqu’il a appelé lui-même les secours. L’armée de l’air nous confirme que ce dernier fait toujours partie de ses rangs, en service à l’étranger. Le ministère déclare de son côté n’avoir aucun élément sur la participation d’Adrien Bocquet à un quelconque sauvetage de pilote, «ce qui semble peu probable compte tenu de son faible temps de service effectif.» Les métadonnées d’une version non modifiée de la photo d’Adrien Bocquet, que CheckNews a pu obtenir, indiquent par ailleurs qu’elle a été prise le 12 mai 2010 en fin d’après midi, soit le lendemain du crash.

Confronté à ces éléments, Adrien Bocquet s’est contenté de nier en bloc, invoquant une «version officielle» qui cacherait la vérité : «La version que vous avez c’est ce qu’on appelle la version officielle ! Les pompiers qui sont intervenus ? Alors qu’est-ce que je foutais là avec toute l’équipe médicale, médecin, etc. Ce sont nous qui sommes intervenus ! Si vous êtes assez bête pour ne pas comprendre qu’il y a toujours une version officielle, et la réalité défi (sic) c’est que vous ne connaissez vraiment pas L’armée et encore moins Les missions.»

L’épopée tchadienne

Les libertés que l’ex-soldat prend avec la vérité ne s’arrêtent pas là. Dans son livre et dans les médias, Adrien Bocquet affirme par exemple avoir été blessé pendant un entraînement. Mais il a livré, par le passé, une version divergente. Un article publié dans la Voix du Nord en juillet 2021 indiquait ainsi qu’il remarchait après avoir été «paraplégique à la suite d’une intervention au Tchad». Alors que le ministère de la Défense nous a confirmé, donc, qu’Adrien Bocquet n’avait jamais participé à une opération à l’étranger pour l’armée française.

Adrien Bocquet évoque cet article du quotidien nordiste dans son livre, et parle d’ «une erreur de la part du journaliste concernant le lieu de mon accident: il est écrit que j’ai été victime d’un accident lors d’une mission au Tchad. Ce qui est complètement faux, puisque j’étais en entraînement sur le territoire français». Ce qu’Adrien Bocquet défend également auprès de CheckNews : «Vous n’avez pas à me mettre sur le dos des conneries et des erreurs qu’on fait (sic) de Journaliste !!» Etrangement, dans une émission diffusée sur Europe 1, un autre journaliste fait la même «erreur» que la Voix du Nord en parlant également d’«un militaire blessé au combat», ou encore d’un «ancien soldat blessé au Tchad» dans le texte du papier. Quand, à l’antenne, le journaliste (qui parle cette fois d’entraînement), mentionne face à Adrien Bocquet une blessure «dans une explosion», l’ancien militaire répond par l’affirmative : «Tout à fait. J’ai été blessé gravement pendant l’exercice de mes fonctions. J’ai été projeté en l’air, je suis tombé sur la colonne vertébrale.». Sans préciser où ces évènements ont eu lieu.

Plus grave, cette version a aussi été livrée au président de plusieurs associations d’anciens combattants en opérations extérieures, selon le témoignage de ce dernier à CheckNews : «On avait pris [Adrien Bocquet] sous notre aile quand il s’était présenté comme ancien combattant, ce qu’il n’est pas. Il faut avoir participé à des OPEX, des opérations de feu [des combats], ce qu’il n’a jamais fait. C’est aussi de ma faute, je n’ai pas vérifié directement ses états de service. Il prétendait alors être allé au Tchad. Il a profité du fait qu’on soit sensible à la détresse qu’il rencontrait.» Notre interlocuteur rapporte qu’Adrien Bocquet est allé plus loin que le simple mensonge, profitant de leur confiance : «On l’a aidé financièrement à deux reprises, et significativement. Et ce parce qu’il nous disait être dans le besoin suite à son accident. Il expliquait qu’il ne pouvait plus travailler, qu’il devait s’occuper de sa fille, que son épouse ne travaillait plus. Donc on a fait notre travail d’anciens combattants, de solidarité. Et je sais qu’il n’a pas fait ce type de demande qu’à nous.»

C’est suite à ses passages médiatiques de 2021 que le président de ces associations explique avoir confronté l’affabulateur à ses contradictions. Ce qu’Adrien Bocquet mentionne d’ailleurs dans son livre, avec une version différente, décrivant des menaces et disant combien il a mal vécu cette mise en cause. CheckNews a proposé à de nombreuses reprises à Adrien Bocquet de fournir des pièces justificatives de ses dires, de ses états de service au sein de l’armée. Ce dernier continue d’affirmer qu’il a été fusilier commando et auxiliaire sanitaire, mais ne nous a fourni que quatre pages de documents partiels, truffés de fautes d’orthographe, largement caviardés, et ne prouvant absolument rien, comme le confirme une source au ministère des Armées.

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