Ramzan Kadyrov dispose d’une armée forte de 80 000 hommes. Ces troupes sont prêtes à combattre là où le chef les enverra, et pratiquent tortures et exécutions sommaires. Photo : grozny.tv
par Sophie Shihab
« Surréaliste et cruel », a estimé Amnesty-France : le Conseil d’Etat a validé, vendredi 17 mai, l’expulsion du Tchétchène Magomed Gadaev (voir Desk Russie numéro 1), au motif que celle-ci n’entraînerait pas pour lui de « risque avéré ». Or Gadaev, 36 ans, père de cinq enfants, a été expulsé le 9 avril vers Moscou, puis remis par Moscou à ses anciens tortionnaires en Tchétchénie contre lesquels il avait officiellement témoigné.
Renvoyé de force en Tchétchénie, Gadaev a ensuite été filmé en détention, proférant des déclarations sous contrainte, dans la tradition de Staline, de Kadyrov (le protégé tchétchène de Poutine) ou, désormais, de Loukachenko au Belarus. Il rejoint ainsi la longue liste d’opposants politiques, le plus souvent tchétchènes, livrés par des Etats européens à la Russie, éventuellement sur la base de « renseignements » fournis par les services secrets russes. Il est loin d’être exclu que ces renseignements aient été extorqués sous la torture dans des geôles russes ou tchétchènes. Douze ONG — dont Amnesty International, HRW et la FIDH — avaient estimé que M. Gadaev risquait fort d’être torturé. Ainsi les autorités françaises, russes et tchétchènes ont agi en violation du droit international relatif aux droits humains, qui interdit tout renvoi d’une personne vers unpays où elle serait exposée à de la torture, ou sa vie mise en danger. Ces ONG ont appelé les autorités françaises à prendre des mesures pour permettre le retour en France de Gadaev et à suspendre toutes les expulsions et extraditions de Tchétchènes vers la Russie. Amnesty a par ailleurs lancé une campagne de signatures demandant à Emmanuel Macron d’œuvrer pour le retour de Gadaev en France. Toutefois, non seulement ces expulsions ont continué (quelques cas sont connus, tous ne le sont pas), mais la plus haute juridiction administrative française, le Conseil d’Etat, a estimé, contrairement à sa juridiction spécialisée, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA), que l’expulsion de Gadaev ne représentait pas une violation des traités internationaux sur les droits humains auxquels la France a souscrit. Le mois dernier, l’un de ses défenseurs, l’avocat Arié Alimi, avait porté plainte contre le ministre français de l’Intérieur et les préfets de Paris et de la Haute-Vienne, pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Désormais, les avocats de Magomed Gadaev ont décidé de porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme.