Publié le 18/03/2021 à 12h14
Mis à jour à 12h16S’ABONNERComparant les journalistes de l’organe indépendant « Novaïa Gazeta » à des terroristes, le régiment se déclare prêt à appliquer les ordres du Kremlin, « quels qu’ils soient »
Un régiment des forces spéciales tchétchènes a demandé au président russe Vladimir Poutine des « ordres » pour se défendre des « attaques abominables » du journal indépendant « Novaïa Gazeta » qui documente notamment les exécutions extrajudiciaires en Tchétchénie.
Le journal a publié lundi le témoignage d’un ancien membre de ce régiment d’élite portant le nom d’Akhmad Kadyrov, le père assassiné du dirigeant actuel Ramzan Kadyrov, sur des exactions commises dans cette république russe du Caucase. Il y affirme que l’unité a participé à l’arrestation de centaines d’habitants de Tchétchénie en 2017 et au meurtre d’au moins une dizaine d’entre eux.
Dans une adresse vidéo à Vladimir Poutine publiée mercredi soir sur la page Instagram du régiment, ses hommes demandent au président russe « de prêter attention aux attaques abominables du journal de « fakes » qu’est « Novaïa Gazeta » ».
« Une vraie guerre d’information »
« Une vraie guerre d’information est en cours contre notre régiment et « Novaïa Gazeta » est son mégaphone principal […] tenu par les services spéciaux occidentaux », ont-ils affirmé, comparant les activités de ses journalistes à celles de « terroristes internationaux ».
« Nous sommes prêts à exécuter vos ordres, quels qu’ils soient », proclament-ils. « Nous avons l’habitude de combattre les ennemis de la Russie sur un champ de bataille », lancent-ils encore.
« Le président russe n’est pas une instance judiciaire et ne peut pas recevoir de plaintes contre des rédactions », répond le porte-parole du Kremlin
Interrogé par la presse sur ce sujet, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a estimé jeudi que le régiment avait choisi « sans doute le mauvais destinataire » pour son message. « Le président russe n’est pas une instance judiciaire et ne peut pas recevoir de plaintes contre des rédactions », a-t-il déclaré, rappelant qu’il « existe des possibilités de contester devant la justice des informations publiées dans les médias. »
Plusieurs journalistes assassinés
Pour sa part, le rédacteur en chef de Novaïa Gazeta, Dmitri Mouratov, s’est déclaré prêt à affronter au tribunal les combattants du régiment si ceux-ci décident de porter plainte pour diffamation.
Créée en 1993, la Novaïa Gazeta est régulièrement la cible d’intimidations, d’attaques et de meurtres. Lundi, jour de la publication de l’entretien en question, elle a affirmé qu’une substance chimique inconnue avait été déversée à Moscou à l’entrée de sa rédaction.
Par le passé, plusieurs de ses journalistes ont été assassinés. La plus célèbre, Anna Politkovskaïa, spécialisée dans la couverture du conflit en Tchétchénie, a été tuée par balles devant à son domicile en 2006. Cinq hommes, dont quatre Tchétchènes, ont été condamnés à de lourdes peines pour cet assassinat, mais le commanditaire n’a jamais été identifié par la justice.
Ces dernières années, ce symbole de la presse d’opposition – aujourd’hui détenu par sa rédaction, l’homme d’affaires Alexandre Lebedev et le dernier dirigeant soviétique, Mikhaïl Gorbatchev – a publié plusieurs enquêtes sur les agissements de groupes de mercenaires russes ou encore les persécutions des minorités sexuelles en Tchétchénie.